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mauvaise humeur, que Fuad avait quitté les principautés pour se rendre à Saint-Pétersbourg, porteur d’une lettre du sultan, puis presque aussitôt qu’il était arrivé et qu’il avait réussi ; le tsar se contentait de l’internement des réfugiés polonais dans les provinces. Il faut tout dire, une escadre anglaise s’était déjà montrée, sur la demande de sir Stratford Canning, à l’entrée des Dardanelles, et cette circonstance, que le tsar prétendit n’avoir point connue, pourrait bien avoir hâté le succès de Fuad. Toujours est-il que cette fois encore il tirait la Turquie d’un mauvais pas, et qu’un peu plus tard, envoyé près du vice-roi d’Égypte, Abbas-Pacha, il obtenait de lui la publication longtemps retardée de l’ordonnance du sultan sur le tanzimat, moyennant, il est vrai, des garanties viagères qui équivalaient à une pleine indépendance. Fuad est un homme heureux, chacune de ses victoires a beau être souvent plus apparente que réelle et coûter aussi cher que des défaites, elle ne laisse pas d’augmenter sa réputation et son crédit.

Au mois d’août 1852, Aali avait été élevé pour la première fois au grand-vizirat, et Fuad chargé, après avoir occupé quelque temps le ministère de l’intérieur, de celui des affaires étrangères. C’est à ce moment que s’est formée entre eux, malgré l’extrême diversité de leur nature, cette alliance qui dure encore, fondée sur le sentiment réciproque de leur supériorité, sur celui des nécessités politiques, un peu aussi sans doute, il est permis de le croire, sur le légitime souci de leur fortune. Deux hommes de cette valeur ont à se soutenir contre bien des choses en Turquie, contre les caprices du souverain, contre les intrigues qui l’enveloppent, contre les cabales si promptement amassées dans l’ombre pour renverser ce qui s’élève. Ils virent commencer tous deux les complications qui devaient, par la guerre d’Orient et le traité de 1856, amener pour la Turquie une situation nouvelle ; mais ils n’occupèrent point le pouvoir pendant la crise. Si Aali, d’ailleurs assez profondément religieux pour comprendre jusqu’aux plus ombrageuses délicatesses d’une autre croyance que la sienne, n’avait eu la philosophie toujours sérieuse d’un Turc, il aurait pu trouver matière à s’égayer dans cette comédie qu’on appela dans le temps la question des lieux saints : il y déploya au contraire, pour contenter des gens décidés à n’être jamais contens, une patience à toute épreuve et une habileté rare ; mais une de ces disgrâces dont la cause est presque toujours impénétrable le fit éloigner du pouvoir et reléguer pour deux ans à Smyrne, puis à Brousse, avec le titre de gouverneur, destiné à couvrir un véritable exil. Quant à Fuad, une brochure publiée en français sur la question des lieux saints et sa résolution de rester fidèle aux engagemens pris avec la France lui avaient