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arène des rivalités européennes. Aali dut céder le ministère à Reschid, mais pour y revenir l’année suivante, lorsque Reschid fut nommé grand-vizir. Ce premier ministère mit en lumière l’habileté diplomatique d’Aali et lui valut plusieurs succès, dont, il faut bien l’avouer, la France fit en partie les frais. Ces choses sont aujourd’hui bien loin de nous, et l’éloignement leur ôte beaucoup de l’importance momentanée qu’elles ont eue ; elles sont curieuses néanmoins en ce qu’elles montrent à quel point les situations changent en peu d’années, et combien la France, qui devait faire bientôt un si grand effort pour soutenir la Turquie, entraînée alors par des rivalités et des dépits maintenant oubliés, craignait peu de l’affaiblir. L’affaire du bey de Tunis est l’une de celles qui firent honneur à la patience imperturbable et à la fermeté du ministre turc. Le bey de Tunis, vassal de la Porte, obligé de recevoir du sultan l’investiture et de lui payer sous forme de don gratuit un véritable tribut, avait été reçu à Paris avec des honneurs presque souverains ; le prince de Joinville lui avait fait une visite à Tunis ; le gouvernement français, auquel Abd-el-Kader donnait beaucoup d’occupation, voulait acheter par ces procédés le bon vouloir d’un voisin qui pouvait être, selon ses dispositions, utile ou gênant. La Porte s’étant décidée à quelques concessions relatives aux arrérages qui lui étaient dus par le bey, le gouvernement français avait eu l’art de s’en donner le mérite. Aali réclama contre les honneurs décernés au bey, et, ses réclamations n’ayant pas été accueillies, il formula une protestation publique et maintint hautement le droit de suzeraineté de la Porte ; cette protestation resta sans réponse. C’était pour la Turquie un succès notable, pour la France une bagatelle. L’affaire de Grèce, qui ne tourna pas non plus tout à fait au gré du gouvernement français, fut tout autrement sérieuse. Il nous restait encore beaucoup du philhellénisme juvénile qui nous avait animés vers 1825 ; nous étions un peu trop disposés, parfois à donner dans les prétentions, et qu’on me passe le mot, dans les fanfaronnades d’un petit peuple intéressant par son intelligence, mais qui se montrait jusqu’alors bien peu capable de la vie politique moderne. Un grand nombre de raïas grecs qui s’étaient dénationalisés depuis l’affranchissement de la Grèce prétendaient cumuler les avantages de sujets de la Porte avec les immunités de sujets étrangers, et la Grèce, les soutenant dans cette prétention, refusait d’agréer un arrangement très équitable accepté par son représentant à Constantinople, M. Zographo. — En même temps, par ses émissaires, elle agitait la Crète, elle entretenait des troubles dans l’intérieur de la Turquie. Celle-ci avait pour elle l’énergie du ministre anglais à Athènes, sir Edmond Lyons, et l’activité de son propre représentant, M. Musurus. Cependant le parti