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sagement abstenu de toute ouverture sur l’objet de sa mission, il avait trouvé de meilleures dispositions en Angleterre ; mais ce voyage l’avait convaincu que, malgré les efforts de Mahmoud, la Turquie n’avait pas cessé d’être considérée en Europe comme un pays barbare, et que, pour la faire admettre dans le concert des états civilisés, il fallait gagner l’opinion par quelque démonstration éclatante. L’avènement du nouveau sultan, le jeune Abdul-Medjid, lui en fournit l’occasion. Cette démonstration, c’est le hatti-chérif de Gul-Hané. Le 2 novembre 1839, dans une cour du sérail, en face de la Maison des Roses brillamment pavoisée, en présence du sultan, du corps diplomatique, de toutes les autorités des diverses communautés chrétiennes, aux échos prolongés des canons de Top-Hané, lorsque l’astrologue de la cour, l’œil fixé sur le ciel, eut indiqué le moment propice, un sac de soie rouge, devant lequel l’assemblée tout entière s’inclina profondément, fut remis à Reschid ; il en tira le hatti-chérif, et le lut du haut d’une tribune aux applaudissemens universels. Voilà pour la mise en scène. Quant au fond, on ne saurait imaginer acte plus habilement conçu pour donner satisfaction à la manie occidentale des constitutions de papier et gagner les sympathies des deux grands pays parlementaires, ni coup de partie mieux combiné pour enlever à Méhémet-Ali les faveurs, de la presse. Libertés civiles, garanties de toute sorte, égalité de tous les sujets, proportionnalité des droits et des devoirs, tolérance, on avait épuisé le dictionnaire du libéralisme européen ; en même temps ces choses étaient présentées, non comme une innovation, mais comme un retour au code sacré des lois primitives de l’empire, dénaturées. par une suite d’accidens. Il y avait de quoi contenter tout le monde, les Osmanlis et les raïas. Cette charte, fondement du tanzimat, de l’organisation nouvelle, devait contenir une révolution ; quoique bien des réformes aient été accomplies, elle est restée ce qu’elle devait être, un morceau d’apparat destiné, non pas à transformer la Turquie, mais à contre-balancer la gloire menaçante de Méhémet-Ali.

Le hatti-chérif de Gul-Hané contribua certainement à préparer l’entrée de la Turquie dans le concert européen, consacrée par le traité du 13 juillet 1841. Quelque pénétrant qu’il fût, Reschid avait cru, après le succès de la cérémonie du 2 novembre, pouvoir pousser plus loin la comédie ; mais, lorsqu’on le vit quelques mois plus tard, pour réaliser une promesse contenue dans le hatti-chérif, appeler à Constantinople une sorte de représentation composée de Rouméliens et d’Anatoliens désignés par le gouvernement lui-même, on se prit en Europe, parmi ceux qui connaissaient l’état vrai des choses, à hausser les épaules. Abdul-Medjid eut beau ouvrir la