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il y avait trouvé l’occasion de se former à la discussion et dans une certaine mesure au maniement des affaires. Après avoir rempli plusieurs missions, l’une entre autres à Kutahia, où il avait accompagné M. de Varennes, chargé par l’amiral Roussin d’aller négocier pour la Porte la paix avec Méhémet-Ali, il avait été envoyé à Paris lors de la création des représentations permanentes en 1834, et s’y était lié avec ce que la politique, la littérature, les arts, avaient de plus distingué ; puis il avait passé à Londres avec le titre d’ambassadeur. Rappelé pour prendre le ministère des affaires étrangères, il y apportait les sentimens de son protecteur Pertew, en sorte que son avènement était un échec pour la politique russe et un succès pour les puissances occidentales. Lorsqu’on le vit ramener avec lui comme secrétaire et précepteur de ses enfans un Français, M. Cor, ses ennemis triomphèrent, et il eut dès ses débuts à cheminer au milieu des intrigues et des embûches.

Toutefois il prit bientôt dans le divan l’ascendant d’une intelligence supérieure, et la plupart des réformes accomplies le furent sous son influence. On s’étonne de voir, à côté des plus sérieuses réformes dans l’organisation du gouvernement et d’établissemens de premier, ordre, paraître des ordonnances sur la longueur des moustaches, qui doit être chez les fonctionnaires égale à celle des sourcils, ou sur les illuminations et le nombre de lampions qu’il est permis à chacun d’employer selon son rang ; on reconnaît à cela que nous sommes encore sous le règne de Mahmoud. Deux grands actes ont marqué cette première partie de la carrière de Reschid : l’attribution d’un traitement fixe à tous les fonctionnaires et la promulgation du hatti- chérif de Gul-Hané. Dans un pays comme la Turquie, où il n’existe ni industrie, ni commerce, ni professions libérales, ni aucune des carrières ouvertes en Europe à l’activité des hommes intelligens et qui utilisent les capacités où les ambitions des classes moyennes, quiconque se sent quelque mérite aspire à devenir fonctionnaire ; il n’y a pour ainsi dire que deux espèces d’hommes, ceux qui subissent le pouvoir et ceux qui l’exercent à quelque degré. Les fonctions n’étaient pas seulement un moyen d’obtenir une sécurité relative, elles étaient encore l’unique façon de s’enrichir, et cela justement parce que les fonctionnaires ne recevaient pas de traitement. Les administrés les payaient directement, le moindre employé ne pouvant être abordé que l’argent à la main, et chaque supérieur à son tour prélevant au gré de sa rapacité sur ses subalternes une partie de ce qu’ils avaient reçu. Les fonctions étaient recherchées comme un monopole de tyrannie et d’extorsions, et le gouvernement l’entendait bien ainsi. Des excès trop crians étaient bien parfois réprimés ;