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du maître. Il mettait à réaliser les projets dont il voyait poindre dans l’esprit du sultan la première idée une impétuosité que celui-ci était obligé de modérer. Le pacha boiteux faisait trembler Constantinople, et sa police vigilante, prodigue de coups de bâton » assurait à Mahmoud, au sultan sans pitié qui avait mis tant de familles en deuil, au souverain malheureux sous lequel l’empire avait essuyé tant de pertes, au contempteur de la religion et des vieilles mœurs, non-seulement la sécurité, mais les démonstrations du plus profond respect. Joignant l’intrigue à la férocité, rien ne lui coûtait pour se débarrasser des rivaux qui l’inquiétaient, et il avait eu la précaution de s’entourer d’une clientèle immense ; il avait pris trente-huit pachas parmi ses mamelouks et fait de ses deux fils adoptifs les gendres du sultan. Aussi fut-ce un jour de surprise à Constantinople lorsqu’on apprit que le vieux Chosrew avait reçu l’ordre « de garder son palais et d’y prier dans la solitude pour le bien du sultan. » C’est l’euphémisme dont on colorait encore des disgrâces que la mort suivait bien souvent de près. Effrayé par les ravages croissans de la peste et par les prédications des ulémas, qui dénonçaient dans ce fléau le juste châtiment d’innovations impies, Mahmoud avait eu un retour de superstition et appelé le vieux Pertew au grand-vizirat. A peine remis, il se vengeait de cette faiblesse en accusant Pertew de tous les maux de l’empire, en l’exilant à Scutari et en le faisant assassiner en chemin. Entre autres imputations, il lui reprochait d’avoir intrigué dans les cours étrangères contre le gouvernement du sultan par l’intermédiaire de sa créature et son élève, Reschid-Bey, et ce Reschid-Bey était précisément celui que Mahmoud rappelait de Londres pour être ministre des affaires étrangères. On ne peut voir qu’en Turquie de si bizarres contradictions.

Dans la plupart de ses tentatives, Mahmoud n’avait guère fait que Suivre son humeur ou obéir aux impulsions du parti servilement flatteur et ignorant qui avait ses préférences. Reschid est le premier qui ait apporté aux affaires la réflexion, l’esprit politique, la connaissance des divers intérêts, qui caractérisent l’homme d’état. C’était, à l’époque où il y fut appelé, un homme de trente-cinq ans environ. Fils d’un honorable effendi, administrateur des biens de la mosquée de Bajezid, il était entré de bonne heure dans les fonctions publiques par la protection de son beau-frère, et avait été distingué par le vieux Pertew à cause de ses dispositions pour la poésie. En 1829, il avait suivi en qualité de secrétaire les négociations qui aboutirent au traité d’Andrinople, et pu observer de près les allures de la diplomatie et le jeu instructif des ambitions européennes. Élevé plus tard aux fonctions de référendaire du divan,