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une question aussi délicate, A Yokohama, les habitans parlent avec terreur des lonines qui ont consommé le meurtre, et les autorités feignent de chercher parmi les princes ennemis du taïcoun quel est l’instigateur du crime. L’événement réveille dans toute son aigreur la question de notre séjour au Japon. Les ministres de Hollande et des États-Unis, qui ont été attirés sournoisement à Yeddo pour y entendre, dit-on, des communications de la dernière importance, se trouvent en face d’agens du taïcoun qui offrent complaisamment de la part de leur maître de retirer la lettre d’expulsion du ministre Ongasawara, si les Européens consentent à faire de Nagasaki et d’Hakodadé leurs uniques résidences. De pareilles propositions ne sont pas discutables. Une modification quelconque à des traités consentis par les gouvernemens européens ne pouvant être introduite qu’avec l’assentiment de ceux-ci, il ne paraît même pas aux ministres étrangers qu’il y ait lieu de démontrer l’absurdité des prétentions japonaises. Au mutisme dédaigneux des représentans européens, les Japonais répondent par le projet d’une ambassade auprès de leurs gouvernemens. Cette idée est du goût de tout le monde. Elle est très en faveur chez les officiers et les employés subalternes, aux yeux desquels une promenade à travers l’Europe se présente comme une délicieuse partie de plaisir. Les représentans étrangers n’ont aucune objection à faire contre ce projet. Pour se concilier les bonnes grâces de la France, il est d’ailleurs spécifié que le premier soin des envoyés sera de présenter à l’empereur les regrets du taïcoun pour le meurtre commis sur l’un des officiers de son armée, et d’offrir à son gouvernement, pour la famille de la victime, telle indemnité qu’il jugera convenable. Une seule question arrête pendant longtemps le départ de l’ambassade, le choix du principal personnage, de celui sur lequel tombera la responsabilité. Chacun se récuse ou se cache. Tant qu’il ne s’agit que de voyager, c’est à qui intriguera parmi ces nombreux désœuvrés pour faire partie de l’expédition ; mais, en face d’une mission politique et d’un échec probable, personne ne paraît désirer l’honneur de diriger l’ambassade. C’est à grand’peine que l’on parvient à compléter le personnel de la mission par on seigneur de la famille d’Ikeda, dont les fonctions auprès du taïcoun nous sont du reste inconnues. L’ambassade japonaise part en février 1864 sur la corvette à vapeur le Monge avec la mission toujours avouée de demander à l’Europe l’abandon de Yokohama. Son insuccès est prévu d’avance, et le décret d’expulsion a eu pour résultat immédiat chez les étrangers d’accroître les moyens de défense à raison d’un danger croissant. La Prusse, l’Amérique et la Hollande ont successivement ajouté leur contingent de troupes à