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prévoit que le monopole exercé par les Américains va disparaître, c’est au gouvernement de Yeddo qu’il s’adresse. Il ne possède derrière lui ni armée ni flotte, mais il exploite avec habileté la présence de nos soldats et montre au taïcoun qu’il va être écrasé, s’il ne consent immédiatement à faire de larges concessions aux Européens. Il déchire le traité de 1854, et tend aux Japonais une nouvelle convention seule capable d’arrêter les puissances occident taies. En obtenant pour son pays le traité de 1858, il se fait fort d’empêcher la France et l’Angleterre d’aller au-delà. Plus tard, l’amiral Hope pourra écrire avec raison à son gouvernement : « Le ministre des États-Unis a fait un adroit usage des avantages que les forces anglaises et françaises viennent de remporter en Chine[1]. »

Les représentans des puissances occidentales négociaient à Yeddo les dernières clauses de leur traité, et déjà le taïcoun Menamotto-Yésada, au nom duquel se concluaient ces arrangemens, avait disparu empoisonné, sans que rien de particulier eût révélé aux plénipotentiaires ce grave événement. Autour de ce trône vacant, les partis s’agitaient de nouveau. Les assassins du taïcoun, arrêtés, avouaient leur crime dans les souffrances de la torture et jetaient aux bourreaux le nom de leur complice, le prince de Mito, qui mettait par la fuite sa vie en sûreté. Yésada, idiot, ne laissait ni enfant légitime ni enfant d’adoption. L’élection d’un nouveau taïcoun était préparée avec soin ; les princes et les adhérons de la famille de Mito étaient, sous divers prétextes, exclus du vote, et un enfant de la famille de Ki était appelé à monter sur le trône de Yeddo.

Dès le début des relations, il devint évident que les engagemens pris par les Japonais étaient inexécutables, et qu’insister sur certaines clauses d’un traité dont nous étions fiers, et à juste titre, c’était rabaisser l’amour-propre indigène et allumer la guerre entre les deux pays. Tout était nouveau pour les deux peuples, et des deux côtés les étonnemens et les réclamations commençaient. Le gouvernement du taïcoun, en ouvrant Yokohoma, n’avait entendu qu’une chose : permettre à quelques trafiquans tranquilles de bâtir d’humbles maisonnettes sur le bord de la mer et de se livrer à un commerce d’échange. Au lieu de marchands, il rencontrait des grands seigneurs, aussi préoccupés de leurs plaisirs que de leurs affaires, usant largement des privilèges qu’au Japon on n’accorde qu’à la noblesse, chassant, galopant sur la grande route de Yeddo, le Tokaido, sans égard pour les officiers des princes qu’ils rencontraient journellement. Le plus obscur négociant, sans s’en douter, violait les coutumes les plus respectables du pays. Les Européens,

  1. Dépêche du 20 août 1861.