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l’ont aussi attesté, ont été admirablement secondés par leurs soldats. Sous le drapeau en effet, toutes les classes de la société se trouvaient représentées, et l’intelligence venait au secours de la discipline. La qualité était une garantie de succès plus sûre que la quantité. Et, qu’on le remarque bien, cette excellente armée, qui s’est montrée si puissante sur le champ de bataille quarante jours seulement après sa mise sur le pied de guerre, ne comptait dans ses rangs que des soldats de trois ans de service et au-dessous. Sur un seul point, elle s’est trouvée notoirement inférieure. Son artillerie n’a pas répondu à ce qu’on attendait d’elle. Ses canons d’acier à chargement compliqué par la culasse n’ont pu soutenir la comparaison avec l’artillerie autrichienne, dont les canons et les projectiles sont identiques aux nôtres ; mais ce désavantage isolé, quelque grave qu’il fût, ne suffisait pas à faire perdre aux Prussiens la supériorité que leur assuraient la puissance de leur organisation et la faveur des circonstances. Quant aux Autrichiens, ce n’était pas assez de l’excellence de leur artillerie pour compenser tout ce qui leur manquait, mal armés, mal préparés, portant en eux tous les vices d’un grand corps mal organisé, et conduits fatalement à faire une de ces campagnes mal engagées où les efforts les plus héroïques ne parviennent pas à ramener la fortune.

Plaçons-nous maintenant au point de vue français pour envisager ces événemens ; détournons un moment nos regards de l’enjeu prodigieux de cette guerre et de l’énormité du gain qui nous a éblouis, accoutumés que nous étions à des résultats plus modestes, même dans les guerres les plus heureuses. La question à nous poser est celle-ci. — De ce que les Prussiens, dans la campagne de Sadowa, ont si promptement et si facilement mis l’Autriche à merci, y a-t-il raison de conclure que toujours et partout ils trouveront la fortune aussi favorable ? Ou nous nous trompons, ou nous avons fait voir que ce succès si merveilleux a été dû à un ensemble de circonstances exceptionnelles dont la plupart n’ont guère de chances de se reproduire. Que si nous venons ensuite à mesurer les agrandissemens de la Prusse, à calculer avec exactitude l’augmentation de ses forces militaires, on trouvera, comme nous l’avons déjà indiqué, qu’elle n’est pas encore arrivée à égaler ni la population ni les ressources de tout genre de la France. Le temps n’est point venu, s’il doit venir jamais, pour la Prusse, de disposer des immenses moyens d’action que nous donne notre marine, et sur terre même il ne nous semble pas que le soldat français de nos jours ait témoigné qu’il a dégénéré de ses devanciers.

Cette grande Allemagne d’ailleurs n’est pour nous une cause de préoccupation que tant qu’elle laisse toutes ses forces militaires