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En terminant ces considérations sur une campagne qui restera l’un des plus grands événemens de notre siècle, nous n’avons pas besoin de dire que rien n’a été plus éloigné de notre pensée que d’amoindrir les mérites de la brave armée autrichienne, si héroïque dans son malheur. Tout ce que nous avons dit prouve que, dans cette guerre si désastreuse pour elle, elle a succombé sous les vices de son administration et les fautes de ses chefs autant que sous les coups de l’ennemi. Encore moins avons-nous songé à diminuer la gloire si légitimement acquise à l’armée prussienne, en recherchant, comme nous l’avons fait, les causes accessoires d’un succès auquel rien n’a manqué, pas même le contraste de la mauvaise fortune de ses alliés. Si la combinaison qui a fait envahir la Bohême par deux armées que séparaient au début de si grands espaces est sujette à critique, et n’eût pas été tentée impunément devant des capitaines comme Napoléon ou même l’archiduc Charles, elle n’en a pas moins été justifiée par le plus éclatant succès. Et n’est-ce pas d’ailleurs une des plus grandes qualités d’un chef de guerre que de savoir mesurer ce que son adversaire lui permet d’oser ? Quant aux braves troupes qui ont combattu à Soor, à Skalitz, Gitschin, pris part aux luttes terribles des bois de Sadowa et de Benatek, enlevé et ensuite défendu Chlum, ce serait leur faire injure que de mettre leur valeur un instant en discussion. Le plan de campagne, quels qu’en fussent les risques, a trouvé d’habiles et énergiques instrumens pour l’exécuter. Comme nous demandions un jour à un officier prussien à qui parmi les généraux on devait attribuer le principal mérite de cette exécution : « Mon Dieu, nous répondit-il, à aucun en particulier. La machine militaire, bien montée, a marché toute seule, et s’il fallait attribuer le mérite à quelqu’un spécialement, ce serait aux officiers subalternes, aux capitaines et aux lieutenans. »

Et mon interlocuteur avait raison. La grande, la principale force de l’armée prussienne a été dans son corps d’officiers. Nul doute qu’il n’y ait à faire une large part d’honneur au gouvernement dans cette organisation préparée par de longues années, dans cette patiente étude de tous les perfectionnemens de l’art militaire, dans cet esprit de progrès, libre des entraves du préjugé et de la routine, qui a fait adopter le fusil à aiguille, emprunter aux Américains l’application des chemins de fer et de la télégraphie électrique aux opérations de la guerre, prendre enfin, à l’exemple des anciens Romains, ce qu’on trouvait partout de bien et de bon ; mais tout cela, le gouvernement ne l’a fait qu’au moyen d’un corps d’officiers instruits, laborieux, appliqués sans relâche à un travail jugé souvent excessif, mais ayant la conscience que la supériorité de leur éducation ne leur permettait pas la médiocrité. Ces officiers, les faits