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céder le pas à l’autre, et toutes deux avaient fini par se croiser les bras. Malheureux Danemark, vieil et fidèle allié de la France ! Il n’avait pour nous attirer aucun avantage immédiat à nous offrir, et il ne représentait pas une de ces idées pour lesquelles seules il est convenu que nous devons faire aujourd’hui la guerre. Ce qu’il y a de certain, c’est que cette indifférence européenne encouragea puissamment M. de Bismark à oser et à jouer une partie bien autrement sérieuse que la conquête du port de Kiel. Ainsi qu’il fallait s’y attendre, les dépouilles du Danemark devinrent un sujet de querelle entre la Prusse et l’Autriche. La première les voulait garder, l’autre les lui eût volontiers abandonnées, si elle n’avait pas cru, en agissant ainsi, signer sa déchéance en Allemagne. Les Prussiens n’entendant rien rabattre de leurs prétentions ambitieuses, et les Autrichiens s’obstinant à y résister par point d’honneur, on marchait à une guerre inévitable.

Quelle était à ce moment la situation diplomatique de la Prusse ? Dissimulant habilement ses projets de conquête, elle ne combattait, affirmait-elle, que dans l’intérêt de la patrie allemande. Or l’idée d’une grande Allemagne ne pouvait déplaire ni à l’Angleterre ni à la Russie. La première ne trouvait là rien qui menaçât sa prépondérance maritime, et s’accommodait volontiers de voir se former en Europe une puissance militaire rivale de la nôtre. Même motif pour la Russie, liée d’ailleurs à la Prusse par de vieux souvenirs, des services rendus et des relations de famille. Il va sans dire que, combattant à la fois contre l’Autriche et en faveur des unités nationales, la Prusse était sûre d’avoir l’Italie avec elle.

Restait la France. Il ne saurait entrer dans nos prétentions de pénétrer le secret de ce qui a pu se passer entre l’empereur et M. de Bismarck ; mais il est impossible de ne pas être frappé d’une certaine ressemblance entre l’entrevue de Plombières et celle de Biarritz. Tout le monde a présentes à l’esprit les promesses de Plombières et les résultats qu’elles ont produits. M. de Bismarck fît-il à Biarritz des promesses analogues à celles de M. de Cavour ? La France fut-elle engagée par son gouvernement ? Sur ce point, nous sommes réduits aux conjectures. On a prétendu trouver le mot de l’énigme dans une parole qui aurait été dite de très liant à un diplomate italien inquiet du trop long silence gardé alors dans nos régions officielles, et pressé de savoir si c’était à l’alliance de l’Autriche ou à celle de la Prusse que son pays avait le plus de chances de devoir la Vénétie. « Mais si la France, lui aurait-on répondu, se prononce pour l’une ou pour l’autre, il n’y aura point de guerre. » Évidemment M. de Bismarck ne demandait à la France que de ne pas se prononcer. En emporta-t-il l’assurance ? Nul ne le sait. Ce que personne n’ignore, c’est qu’un des premiers soins du gouvernement prussien,