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avait adopté pour son armée un ordre de bataille inusité et dangereux, une formation à angle droit, le sommet de l’angle à l’ennemi. Un des côtés avait face au prince Frédéric-Charles, et l’autre à la direction par laquelle le prince royal pouvait s’avancer ; mais les troupes qui devaient former cette seconde ligne ne s’y trouvaient pas au moment critique, et ici encore la fatalité poursuivait la malheureuse armée autrichienne. Par un surcroît de mauvaise fortune, son chef d’état-major, M. de Henikstein, rendu responsable des premiers échecs de la campagne, avait été révoqué et remplacé la veille même de la journée de Sadowa. On se figure sans peine, pour peu qu’on ait la moindre expérience des opérations de la guerre, quel trouble un pareil changement, fait à un tel moment, dut apporter dans la transmission des ordres, des avis et dans le jeu si compliqué du mouvement d’une armée de 200,000 hommes. Penser à tout, tout prévoir est chose difficile et rare dans les occurrences communes de la guerre ; le nombre des troupes et l’immense étendue du terrain multipliaient ici les chances d’oubli. On oublia beaucoup au quartier-général de Benedeck. D’abord on oublia de garder Chlum, puis on oublia la simple précaution de mettre quelques hommes en observation sur le clocher du village, clocher qui se voyait de partout, et du haut duquel on aurait certainement aperçu à temps les mouvemens de l’ennemi. On oublia enfin de donner à temps les ordres nécessaires pour la bataille. Ils furent transmis fort tard aux généraux, et en des termes si laconiques que le de corps, qui par sa position aurait eu la mission de garder Chlum, ignora entièrement qu’une attaque était à craindre de ce côté. N’ayant personne devant lui, il obliqua à gauche pour se porter au secours de son voisin, rudement attaqué, laissant ainsi ouvert l’espace par lequel pénétra la garde prussienne. Ce fut en voyant Chlum aux mains ennemies que les chefs de ce 4e corps apprirent que Chlum était le point capital de la position, et qu’il avait été garni d’ouvrages qui devaient leur en faciliter la défense. Est-il besoin de dire que tant de circonstances désastreuses pour leurs adversaires ne serviront pas toujours les armes prussiennes ?

La bataille perdue, il fallut couvrir la retraite. Là aussi les pertes furent immenses. Dans les bois et les villages, partout où quelque abri avait compensé la supériorité du fusil à aiguille, le carnage avait été égal des deux côtés. On trouvait autant d’habits bleus que d’habits blancs sur le terrain ; mais autour de Chlum, de Rosberitz, des villages qu’on avait essayé de reprendre sur les troupes du prince royal, le sol était exclusivement jonché d’habits blancs. Même remarque aux endroits où l’infanterie autrichienne avait tenté des retours offensifs pour contenir ses adversaires : elle avait été littéralement fauchée. La poursuite cependant ne fut pas de longue