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jour les misères d’une volonté sans ressort, l’impudeur d’un égoïsme qui réclame et qui accepte effrontément tous les sacrifices, le combat lamentable d’un esprit trop lumineux pour se tromper sur le vrai chemin et d’une âme trop débile pour s’y engager résolument. Dans Racine, les personnages de cette espèce sont des femmes, Hermione, Roxane, Phèdre ; on n’en attend pas davantage. On est plus exigeant avec un homme, et Paul Forestier commence bientôt à faire pitié. Il ne pourrait se sauver que par l’indomptable opiniâtreté de la passion ; la sienne ne tardera pas à plier, quoiqu’elle ne se rende pas sans combat.

Quelques minutes encore, et Paul, échappant à la scène des adieux, aura quitté pour toujours une maison où il laisse le malheur et les larmes, et voyagera sur les pas de Mme de Clers. A l’instant où il va franchir le seuil, le hasard, qui ne veut rien lui épargner, ramène son père devant lui. C’est la première fois qu’ils sont face à face depuis que Paul sait enfin le secret du départ de Léa. Il y a entre eux un compte à régler, qui va mettre gravement en péril le respect filial et l’autorité paternelle. Malgré le prétexte par lequel Paul essaie d’expliquer son départ, Forestier en devine aisément le véritable motif, dès qu’il apprend que son fils et Léa se sont revus, et le combat inévitable se livre aussitôt entre eux, direct, acharné, sans ménagemens, à visage découvert comme entre deux étrangers. Le père, en reconnaissant à demi l’imprudence de ses faux calculs, rappelle son fils à l’honneur, aux obligations sacrées qu’il a contractées envers Camille ; pour toute réponse, Paul énumère ses justes griefs, la ruse qui l’a séparé de Léa, ses longues souffrances secrètement dévorées, la folle complaisance d’un mariage qui n’a été qu’une embûche ; les paroles qu’ils échangent, amères dès le début, tournent vite à la Violence et à l’injure. Un moment d’attendrissement est sur le point de tout sauver ; c’est le père qui revient le premier :

Mon fils, est-ce possible ?
En sommes-nous venus à cette lutte horrible !
Un père avec son fils, deux êtres droits et bons !
Est-ce à toi que je parle ? Est-ce toi qui réponds ?
PAUL.
Qui m’aurait dit qu’un jour, ô père ! ô mon cher père !
Tu me ferais en vain une telle prière ?


Quand tous deux semblent prêts à se jeter dans les bras l’un de l’autre, il suffit d’un mot de Forestier qui rallume la jalousie de Paul, pour qu’il s’élance vers le seuil défendu par son père, et n’hésite plus à se frayer un passage par la force.

Où le père échoue, la femme du moins réussira-t-elle ? Camille n’a pas trempé dans le stratagème dont Paul se plaint d’être la victime ; elle a sa jeunesse, son confiant et naïf amour, qui plaident pour elle, et non sans éloquence. Est-ce assez cependant pour qu’elle l’emporte ? Ne