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écrivains qui feraient honteusement trafic de l’insulte et de la calomnie ? Peut-on, systématiquement et au dommage général d’une institution comme la presse libre, confier la défense de la vie privée à l’action publique ? Il est étrange que pareille idée soit venue à l’esprit d’un personnage qui a eu l’avantage singulier de fonder une maison ducale en ce temps-ci et qui revendique l’honneur d’avoir travaillé à la législation de 1852. Certes dans la discussion de la loi militaire on a fait des appels éloquens au courage dévoué des Français ; il y a telles paroles des Niel, des Rigault de Genouilly, des Bouët-Villaumez, qui nous ont donné de nobles tressaillemens. Pourquoi, à propos de cette loi sur la presse, n’évoque-t-on que la timidité chez les Français et les enveloppe-t-on de lâches armures ? Croit-on que l’intrépidité politique et civile n’a point une valeur égale à la bravoure militaire ? À la veille de 1789, Mirabeau publiait une brochure sur la liberté de la presse. « Que la première de vos lois, criait-il aux hommes qui allaient représenter les états-généraux, consacre à jamais la liberté de la presse, la liberté la plus inviolable, la plus illimitée, la liberté sans laquelle les autres ne seront jamais conquises, parce que c’est par elle seule que les peuples et les rois peuvent connaître leur droit de l’obtenir, leur intérêt de l’accorder. Qu’enfin votre exemple imprime le sceau du mépris public sur le front de l’ignorant qui craindra les abus de cette liberté. » C’est par ce coup de trompe que le plus énergique initiateur de notre révolution a ouvert la lutte pour la liberté de la presse ; devant les expériences qui ont été faites, les défenseurs de cette cause ont le droit et le devoir de ne point baisser le ton.

Après la loi sur la presse, viendra sans doute le projet sur l’exercice du droit de réunion ; puis la campagne financière commencera. Le nouveau ministre des finances, M. Magne, a présenté l’exposé de la situation du trésor. Il est certain que, si nous eussions possédé dans ces dernières années les libertés que M. Thiers a nommées nécessaires, notamment la liberté de la presse, qui eût transmis directement au pouvoir l’expression de l’opinion publique, nous ne serions point en présence d’une aussi grosse carte à payer. Il y a eu, comme on sait, en 1867, à l’occasion et à la suite de l’échauffourée du Luxembourg, des dépenses extraordinaires s’élevant à 158 millions ; les dépenses militaires extraordinaires doivent encore coûter la somme de 189 millions. Des mécomptes dans le revenu de 1867, joints à des dépenses qui sortent de l’ordinaire, comme l’expédition de Rome, doivent porter le découvert du trésor non loin de 1 milliard 200 millions. Dans cet état de choses, la nécessité de recourir à l’emprunt était inévitable. M. Magne a fixé cet emprunt à 440 millions. On avait parlé d’abord d’un appel au crédit plus considérable. Pour notre compte, nous louerons M. Magne de s’être borné au strict nécessaire. Les tendances aux dépenses ont été si entraînantes à notre époque, qu’on comprend que des ministres des finances qui ne font point le sacrifice de leur responsabilité redoutent de réunir de trop amples ressources