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historique dans le récit des événemens. Aujourd’hui elle sert à expliquer l’histoire des sociétés, des mœurs, des idées; elle éclaire la marche de l’esprit humain. Malheureusement elle nous manque pour suivre celle de l’esprit de Platon. Les tentatives qui ont eu pour but de dater chacune de ses compositions ne reposent guère que sur des traditions et des conjectures douteuses. Lui-même, en mettant toujours en scène des personnages réels, ne s’astreint pas à l’ordre historique ou biographique des faits, et si l’on voulait déterminer par la suite des idées la succession des écrits, ce serait résoudre la question par la question même. M. Grote, qui l’a examinée de près, s’est cru seulement autorisé à placer les premiers les dialogues dont l’esprit s’éloigne le moins du tour négatif de la dialectique de Socrate, et les derniers ceux qui s’en écartent le plus. Nous sommes porté à commencer comme lui par l’Apologie de Socrate y que doivent suivre d’assez près tous les écrits qui touchent à son procès et à sa mort. La République, œuvre de la maturité de Platon, doit avoir avec le Philèbe précédé le Timée et le Critias, antérieurs aux Lois, qui sont le fruit de sa vieillesse. De cet ordre, M. Grote conclut qu’à mesure que Platon laissait s’affaiblir le souvenir des leçons de Socrate, peu à peu les habitudes critiques de son esprit cédaient à une tendance à la spéculation accompagnée d’un certain goût pour les mythes et les antiquités, ainsi que pour l’autorité exercée au nom de la philosophie. Il est certain qu’à côté des aspirations les plus hardies de la métaphysique pure la République contient des règles morales et sociales dictées par un absolutisme téméraire. Auprès des observations les plus justes, les plus profondes sur la nature des gouvernemens et la vie des sociétés, il se permet le rêve de chimériques réformes qui ne s’expliquent que par son mépris pour les préjugés vulgaires, les vices des institutions et des peuples, par la foi à une sorte de droit divin de la philosophie. Il est certain que, s’il était fondé dans son ambition de mettre au-dessus de toutes les connaissances expérimentales et discursives, au-dessus même des opinions vraies, la science proprement dite, il devait déférer à celle-ci, c’est-à-dire à la philosophie, une autorité qu’il qualifie lui-même de royauté, et qui pouvait imposer ses décrets avec la confiance de l’infaillibilité. Il était sur cette pente où la philosophie se change en orthodoxie.

Le Timée est un ouvrage où, après avoir résumé la République, il essaie de rattacher la constitution de la société à la constitution du monde. Celle-ci, il la décrit dans un récit mythique de la création. L’origine du monde réel est rattachée elle-même au monde des intelligibles, et, mettant en action sa théorie des idées, il accepte de l’école de Pythagore, il puise dans les traditions mythi-