Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/756

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette mesure de la terre a été la première qui fût digne de quelque confiance ; Picard y employa déjà ses quarts de cercle garnis de lunettes au lieu d’alidades à pinnules. On pense bien qu’il rêva d’en faire l’application à l’Observatoire. En octobre 1669, il communiquait à l’Académie des Sciences un plan détaillé des travaux qu’il serait utile d’entreprendre pour perfectionner l’astronomie. Il insista sur la nécessité de former un nouveau catalogue d’étoiles et de corriger les tables du soleil ; il exposa combien il était urgent de déterminer l’influence de la réfraction atmosphérique sur les hauteurs apparentes des astres, en ayant égard aux circonstances météorologiques et surtout à la température, précaution que Flamsteed négligeait encore vingt-cinq ans plus tard. Ces projets, dont l’exécution eût fait faire à la science un progrès immense, furent oubliés lorsque Cassini arriva d’Italie avec un plan tout différent, destiné à éblouir la foule.

L’astronome italien avait mérité le suffrage de Picard par les recherches qu’il venait de publier sur les satellites de Jupiter, et Picard l’avait chaudement recommandé à Colbert comme un homme dont il serait difficile de se passer. Il ne lui vint pas un instant à l’idée qu’il se créait ainsi un rival capable de l’éclipser et de nuire à sa gloire, quoiqu’il fût assez facile de prévoir dès lors que Cassini se trouverait l’objet de toutes les préférences. On peut regretter aujourd’hui que l’abnégation de Picard n’ait pas été un peu moins grande. Le roi Louis XIV, qui ne demandait pas mieux que d’attirer en France les savans étrangers, fit faire à Cassini les propositions les plus flatteuses ; il entreprit à ce sujet une négociation diplomatique qui fut couronnée de succès : le pape Clément IX consentit à laisser partir son grand homme. Colbert envoya une somme de 1,000 écus à Cassini pour les frais de voyage, et lui assura une pension annuelle de 9,000 livres ; le pape de son côté promit de lui conserver les émolumens de ses charges, ce qui eut lieu pendant quelques années. Cassini arrivait à Paris au mois d’avril 1669 ; provisoirement logé au Louvre, il put, en 1671, transporter son domicile à l’Observatoire, tandis que l’abbé Picard ne trouvait à s’y loger que deux ans plus tard. Il n’y eut d’ailleurs jamais plus de quatre ou cinq habitans dans ce vaste bâtiment, où l’on parvenait à peine à pratiquer pour les observateurs quelques réduits informes que l’épaisseur des murs rendait humides et malsains.

Cassini, qui savait plaire en même temps qu’étonner, eut à la cour un succès prodigieux. Il fut souvent admis à entretenir le roi, la reine et les autres membres de la famille royale ; qui trouvèrent dans sa conversation un charme toujours nouveau. Il montrait à Colbert et aux seigneurs de la cour les taches du soleil, il leur