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aussi, sans reculer devant la crainte de paraître inconséquent, commença-t-on à se montrer moins intraitable. D’ailleurs l’impatience avait gagné tout le monde ; les gentilshommes souhaitaient de retourner dans leurs manoirs, les avocats dans leurs cabinets et les évêques dans leurs diocèses, où les rappelaient les prochaines solennités pascales, de telle sorte qu’en six jours on vota au pas de course à peu près tout ce qu’on avait mis six mois à refuser. Le 1er avril 1765, les tortures du duc d’Aiguillon finirent, car la clôture de ces interminables états fut enfin prononcée. Atteint par une maladie grave, le malheureux commandant quitta la Bretagne pour plusieurs mois, et, n’ayant paru à Versailles qu’en passant, alla s’enfermer dans une retraite absolue aux eaux des Pyrénées. Ses médecins l’y retinrent à peu près étranger aux formidables questions débattues loin de lui jusqu’à l’heure où un ordre du roi le contraignit de reparaître pour la dernière fois dans une province où il avait suscité autant de colères qu’il avait pu y rêver d’applaudissemens.

A la suite de l’arrêt qui avait cassé celui du conseil et du refus réitéré d’enregistrer la déclaration du 21 novembre relative à la perception des deux sous pour livre, le roi avait reçu le parlement de Bretagne avec cette majesté que la vulgarité de ses habitudes avait à peine effleurée. Il s’était montré fier et menaçant, mais sans produire chez les magistrats ni émotion ni crainte. Le respect était tari à ses sources, et les concessions de la veille paraissaient un sûr garant de celles du lendemain. Le parlement rentrait à Rennes le 5 avril convaincu que, dans la partie qui se jouait entre la royauté et la magistrature, il suffirait à celle-ci de persévérer pour s’assurer le succès. Immédiatement après sa rentrée, la cour, se fondant sur la réponse du roi « d’après laquelle elle avait eu le malheur de perdre la confiance de sa majesté, et sur des injonctions dont la teneur était incompatible avec les droits de la province, » prenait la résolution de se démettre de ses fonctions et de « ne les continuer que jusqu’à ce qu’il eût plu au roi d’envoyer d’autres juges. » L’anxiété causée à Versailles par la résolution du parlement fit croire à celui-ci que le ministère retirerait bientôt, en ce qui concernait la Bretagne, la déclaration du 21 novembre ; mais le duc de Choiseul s’opposait à toutes les concessions[1], et lorsqu’on

  1. Dans le Journal de M. le duc d’Aiguillon, je trouve à cette date le passage suivant, curieux à plus d’un titre. « Toutes les fois qu’il était question au conseil des affaires de Bretagne, M. le duc de Choiseul inclinait avec affectation pour la plus grande sévérité ; mais il voulait toujours que M. le duc d’Aiguillon fût consulté, bien persuadé que l’on attribuerait à ce dernier tout ce que les opérations du ministère auraient de rigoureux, et que par ce moyen, la haine de ses ennemis prenant une nouvelle activité, il en résulterait des troubles pires encore que ceux qu’on voulait faire cesser. Cette politique était d’autant plus perfide que M. d’Aiguillon, en voyant le piège, ne pouvait guère s’empêcher d’y tomber, parce que le parlement provoquait en effet la justice du roi, et que M. le duc de Choiseul, en voulant perdre le commandant de la Bretagne, paraissait n’être guidé que par le désir de le venger des imputations calomnieuses du parlement et de faire rentrer cette compagnie dans son devoir. »