Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/739

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendre aux ateliers, soit en leur procurant dans certains cas une indemnité pécuniaire. Enfin, lorsqu’il eut à défendre devant les états non-seulement sa gestion, mais son honneur, quand ses ennemis, appuyés sur les actes de la magistrature, eurent provoqué jusqu’au fond des derniers hameaux la dénonciation de tous les abus inséparables d’une aussi vaste entreprise, ces abus apparurent comme tellement insignifians que la vérité aurait éclaté à tous les regards, s’il n’y avait eu un parti-pris de trouver et de dénoncer un coupable. La noblesse n’avait pas d’ailleurs accepté sans inquiétude la pensée du réseau. Si elle voyait dans les grands chemins un gage assuré de prospérité, elle y démêlait instinctivement un danger pour la liberté publique. Rendre la péninsule facilement accessible jusqu’à ses extrémités, c’était désarmer devant le pouvoir, et l’on y était moins porté que jamais. L’intérêt privé s’effaça devant une pensée plus générale, sitôt que le parlement, en faisant du commandant de la province une sorte de bouc émissaire, se fut associé à la croisade organisée par la magistrature contre un gouvernement méprisé. Grand seigneur et homme de cour, représentant d’un régime que la noblesse bretonne détestait, le duc d’Aiguillon eut à combattre des accusations que chacun ne prenait au sérieux que dans la mesure nécessaire pour autoriser ses haines.

L’acte du 5 juin 1764 ne produisit pas moins d’effet à la cour qu’en Bretagne. Le cabinet se décida donc à semoncer le parlement de Rennes, aux paroles duquel la notabilité acquise par son procureur-général donnait alors un immense retentissement. Cette compagnie reçut l’ordre d’envoyer en cour, afin d’y expliquer sa conduite, une députation composée d’un président, de trois conseillers, et que M. de La Chalotais, en relations fort connues avec tous les chefs de l’opposition aux états, dut accompagner en vertu d’un veniat spécial. Nommée au scrutin, cette députation se trouva formée du président de Robien et de MM. de La Gascherie, de Kersalaün et de Montreuil. A part le premier, demeuré toujours maître de lui-même au milieu des passions de son temps, elle était composée des hommes les plus animés du parlement. Le roi la reçut à Compiègne, et cette audience trompa par l’insignifiance des résultats l’attente très excitée du public. Partagé entre la haine qu’il portait aux robes rouges et la crainte de contrarier le plan de conciliation de son ministre Laverdy, du succès duquel on ne désespérait pas encore, Louis XV adressa aux députés une allocution banale qui vint se résumer dans cette dernière phrase : « Retournez sans délai dire à mon parlement que je veux que cette affaire n’ait aucune suite. » Mais la pensée intime du roi s’échappa dans ces mots que, d’après le duc d’Aiguillon, il aurait adressés à M. de La Chalotais : « Changez de conduite, ou vous vous en repentirez ; c’est moi