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l’administration de la province. Il commençait par établir que l’ordre royal du 12 octobre 1762 prescrivant le vote à la majorité de deux ordres contre un en matière d’impôt était la violation flagrante du contrat qui liait depuis deux siècles la Bretagne à la monarchie. S’expliquant ensuite sur les travaux des grands chemins, qui avaient formé depuis dix ans l’objet principal de la sollicitude du commandant, il s’attachait à prouver que « le fardeau des corvées était devenu insupportable à cause de la multitude des routes ouvertes à la fois et par les ordres violens qui arrachaient le laboureur à la culture et à la récolte ; » il imputait au chef de l’administration l’extension prise par toutes les dépenses, particulièrement par celle de la garde des côtes et du casernement ; il le rendait responsable de tous les emprunts faits par les communautés sans ressources financières assurées afin d’accomplir des embellissemens inutiles ; il signalait enfin sans les indiquer « d’autres actes de despotisme qu’il était temps de faire réprimer par les magistrats armés du glaive de la justice pour en frapper le coupable, tel qu’il soit[1]. »

Les temps où nous avons vécu nous ont fait voir combien pour les partis, même les plus honnêtes, l’aveuglement est facile. Toutefois quiconque examinera sérieusement les griefs résumés dans cet acte d’accusation ne parviendra jamais à comprendre comment d’aussi faibles états ont pu supporter le poids immense de haines dont le seul nom du duc d’Aiguillon réveille aujourd’hui le souvenir. Traduit comme concussionnaire et comme assassin devant la France et l’Europe, placé par le parlement de Bretagne sous le coup d’une accusation capitale, conduit, à raison de sa qualité de pair du royaume, à se pourvoir devant la plus haute des juridictions, ce personnage, qui sans être un homme d’une grande vertu était moins encore un grand criminel, n’a jamais vu s’élever contre lui, au milieu du déchaînement le plus furieux, que les reproches consignés dans les premières remontrances, et pas un seul de ceux-ci ne résiste à un examen attentif. Imputer au commandant de la province l’accroissement des dépenses de casernement et d’étapes, conséquence inévitable du passage des troupes durant la guerre maritime, c’était imiter quelques bons campagnards qui lui attribuaient le nombre toujours croissant des vingtièmes. Lui reprocher d’avoir poussé certaines villes à faire des dépenses

  1. Réponse à la déclaration de M. de Laverdy, enregistrée au parlement de Bretagne le 5 juin 1764. Deux mois après la rédaction de cette réponse, le parlement prenait une position plus offensive encore en rendant, le 4 août, un arrêté dit de scission, portant que, pour « motifs connus de la cour, il était interdit à tous ses membres d’avoir à l’avenir des relations personnelles avec le sieur duc d’Aiguillon, si ce n’est pour l’exécution des ordres du roi. »