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arrêter les poursuites[1]. Quelques-uns reprochent, il est vrai, à ce système d’encourager en certains cas l’impunité des malfaiteurs, et c’est la principale objection qui s’est élevée dans les derniers temps contre l’absence d’un ministère public. Il importe sans doute beaucoup à la sécurité des bons citoyens que les crimes soient découverts et réprimés ; mais, selon l’avis des esprits éclairés, mille fois mieux vaut qu’un coupable échappe au bras de la justice que de voir les vieilles franchises britanniques envahies et menacées par une imitation étrangère. A force de prendre en main les intérêts de chacun, l’état finit par confisquer la liberté de tous, et puis est-il bien vrai que la proportion des forfaits impunis soit plus élevée chez nos voisins qu’ailleurs ? Il y a lieu d’en douter quand on consulte les statistiques. Pour assurer la découverte d’un vol ou d’un assassinat, les Anglais comptent tantôt sur l’intérêt personnel, tantôt sur un sentiment inné de justice, qui, chez beaucoup d’individus, agit avec toute l’énergie d’un magistrat chargé de poursuivre d’office et de rechercher les traces du coupable. C’est ou la personne lésée, ou les parens et les amis du mort, ou encore quelque société de protection[2] qui entreprend d’ordinaire la conduite d’un procès criminel. Autrefois tous les frais de justice tombaient à la charge du prosecutor, de sorte qu’après avoir souffert de l’impuissance de la société à défendre ses biens ou sa personne, il souffrait encore et souvent bien davantage en demandant la réparation d’une injure qui appartenait indirectement à la vengeance publique. Aujourd’hui la plupart des dépenses sont payées par la caisse de l’état.

Ces garanties peuvent néanmoins sembler insuffisantes pour la répression des crimes ; aussi existe-t-il en Angleterre quelques autres auxiliaires de la justice. Dans les grandes villes, telles que Manchester, Liverpool, Birmingham, un attorney, nommé par le conseil municipal, est spécialement chargé de diriger les poursuites contre les infracteurs de la loi. D’un autre côté, la police remplit à peu près le même rôle ; elle arrête les personnes suspectes, reçoit la confidence des attentats qui ont été commis en secret et cherche à réunir les preuves contre le coupable. Dans certaines occasions très

  1. C’est toujours, il est vrai, à ses risques et périls. Qu’on suppose, un homme volé par sa servante et déposant contre elle devant un magistrat. Celui-ci la redemande, c’est-à-dire la renvoie à une autre séance. Dans l’intervalle, le plaignant, touché de compassion ou réfléchissant qu’il ne reverra jamais son argent s’il fait condamner cette malheureuse fille, entre avec elle en accommodement, et, moyennant restitution, lui promet d’arrêter les poursuites. Il lui suffit pour cela de ne point comparaître devant le tribunal. La servante est mise en liberté ; mais elle peut alors poursuivre son maitre pour fausse accusation et arrestation illégale.
  2. Par exemple la Société protectrice des femmes, la Société protectrice des animaux, la Société protectrice des banquiers, etc.