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justice civile, qui a, selon moi, deux graves défauts : elle est trop lente et elle coûte trop cher. On doit pourtant reconnaître que les Anglais ont beaucoup fait dans ces dernières années pour en élaguer les formes parasites. Le tarif des frais a été abaissé et mis ainsi plus à portée des petites bourses. D’un autre côté, de savans légistes n’ont point épargné leurs veilles pour faire pénétrer un peu d’air et de lumière dans cette massive et obscure forêt du code britannique. Quoi qu’il en soit, la procédure criminelle est sans contredit le plus beau monument de la justice chez nos voisins ; c’est donc sur elle que doit se porter toute notre attention.


III

Le plus ferme rempart des libertés individuelles est l’inviolabilité du domicile. La maison de l’Anglais est son château-fort. Tous les rangs de la société se trouvent sous ce rapport également protégés. « L’homme le plus pauvre, disait lord Chatham, défie, dans son cottage toutes les forces de la couronne. Cette chaumière peut être bien frêle, son toit peut trembler, lèvent peut souffler entre les poutres disjointes, l’orage peut y entrer, la pluie peut y entrer ; mais le roi d’Angleterre ne peut y entrer. Tout son pouvoir n’oserait franchir le seuil de cette masure en ruine. » Ce que le roi d’Angleterre ne peut faire, la justice le peut, mais seulement dans certains cas et avec des formes qui ont été sévèrement définies. Nul ne doit être arrêté de l’autre côté du détroit qu’en vertu d’un mandat d’amener (warrant) signé par un secrétaire d’état, un des juges de la cour du banc de la reine, ou, comme il arrive le plus souvent, un simple magistrat de police[1]. Telle est l’antipathie de nos voisins pour les arrestations arbitraires que l’absence de ce mandat peut quelquefois modifier le caractère d’un acte de résistance à main armée. Dans ce pays où l’on entoure de respect les officiers de la loi, il y a néanmoins plus d’un exemple de bailiffs et de constables tués dans l’exercice de leurs fonctions au moment où ils cherchaient à se saisir d’un homme sans autorisation suffisante. Les auteurs de telles violences ont été punis, mais avec une atténuation bien remarquable. Le crime qu’ils avaient commis est qualifié de murder

  1. Un agent de la force publique arrivant sur les lieux au moment où un crime vient d’être commis, peut, il est vrai, appréhender celui qu’il croit coupable ; mais il agit ainsi sous sa propre responsabilité et s’expose au danger d’être poursuivi pour contrainte illégale. Il en est de même de tout Anglais qui en fait arrêter un autre par la main d’un policeman. Le plus souvent, une personne ayant à se plaindre d’une injustice ou embrassant la cause de la victime suit une voie plus régulière ; elle se présente devant un magistrat, fait sa déposition en séance publique et obtient ainsi un warrant contre l’auteur présumé du crime ou du délit.