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leur, caractère se trouve protégé par des institutions qui leur assurent le droit d’être justes avec impunité. Il n’y a point de liberté à espérer chez un peuple où la magistrature est sous la main du pouvoir. Nos voisins ont connu cet état de choses, mais heureusement pour eux ils s’en sont délivrés. Leur respect pour la loi est proverbial ; comment ce sentiment s’est-il formé ? Je n’hésite point à affirmer que la haute impartialité des juges, leur dignité souveraine, leur calme résistance à tous les actes arbitraires, ont puissamment contribué à graver dans le cœur des populations de la Grande-Bretagne cette religion de la justice. Il y a quelques années, M. M. D. Hill, alors recorder de Birmingham, adressait au grand jury ces nobles paroles : « Les condamnés politiques sont des hommes malheureux qui doivent, encourir les souffrances attachées à leur position, mais dont les sentimens ne doivent jamais être blessés par aucun outrage. » Puis il citait l’exemple de sir Francis Burdett, de Bickersteth, de Leigh Hunt, du poète Montgomery et de bien d’autres qui, après avoir été frappés par les tribunaux, n’en ont pas moins conquis plus tard des positions très honorables dans la magistrature ou dans l’état. A coup sûr de telles réflexions n’ont par elles-mêmes rien qui étonne ; mais ce que je trouve de particulier à l’Angleterre, c’est qu’elles soient exprimées par un juge dans l’exercice de ses fonctions et au sein du temple des lois.

Il n’existe pas en outre d’institution si haut placée qu’elle ne se trouve exposée tous les jours chez nos voisins à la libre critiques de ses actes. La justice est peut-être une de celles qui échappent le moins sous ce rapport aux sévères conditions du véritable régime représentatif. Depuis le premier jusqu’au dernier, tous les magistrats anglais rendent leurs arrêts à la grande lumière de la publicité. Les regards d’une presse jalouse et vigilante les observent, les suivent attentivement dans l’exercice de leurs devoirs. Chacun d’eux sait d’avance que sa sentence sera contrôlée par le tribunal de l’opinion publique, car ici le grand juge est tout le monde. Cette surveillance est tellement passée dans les mœurs que les magistrats eux-mêmes ne craignent point de s’y soumettre et de compter avec le sentiment général. En veut-on un exemple ? Il y a quelques mois, une jeune danseuse soupçonnée d’avoir commis un vol comparut en costume un peu théâtral devant un magistrat de Londres. Sa beauté, son âge, ses manières, étaient de nature à intéresser en sa faveur. Le juge, après l’avoir entendue, la redemanda à quinzaine pour prononcer le jugement. Dans l’intervalle, plusieurs journaux anglais insinuèrent que le ministre de la loi s’était laissé séduire sur son siège par les grâces de la sirène. A l’audience suivante, il crut lui-même qu’il était de son devoir de justifier sa conduite et de répondre aux attaques des journaux en