Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/668

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui déplaisaient dans l’état ; mais ils ont résisté, et ce qu’ils ont une fois arraché à l’arbitraire n’a jamais été repris par les mains du pouvoir depuis la révolution de 1688. Leurs progrès ne sont point des conquêtes, ce sont des victoires. Trois grands traits distinguent aujourd’hui à première vue l’administration de la justice chez nos voisins : l’habeas corpus, bouclier de toutes les libertés individuelles, l’indépendance de la magistrature et la puissance du jury.

C’est du reste en vain qu’on chercherait à se former une idée de l’application de la loi en Angleterre, si l’on se contentait d’étudier à part les diverses branches du système. Depuis le barreau anglais, qui par ses lumières et ses idées libérales a été souvent considéré comme un des remparts de la constitution, jusqu’aux tribunaux, où trône vraiment la conscience du pays, et aux formes de la procédure criminelle, qui défendent énergiquement l’accusé contre le danger des poursuites arbitraires, tout a été calculé pour donner à la justice une base fixe et inébranlable.


I

Les intérêts du barreau sont confiés dans la ville de Londres à des sociétés bien distinctes qui se gouvernent elles-mêmes en vertu d’anciens usages successivement modifiés par les forces et les besoins du progrès. Les terrains et les bâtimens qu’elles occupent sont connus de nos voisins sous le nom d’Inns of court. Il y en a quatre qui méritent surtout d’appeler notre attention : l’Inner Temple (temple intérieur), le Middle Temple (temple moyen), Lincoln’s Inn et Gray’s Inn[1].

Quiconque a descendu la Tamise en bateau à vapeur doit avoir remarqué vers le centre de la ville et sur la rive gauche du fleuve les jardins, les quais et les édifices du Temple. Ces jardins sont surtout célèbres pour leur belle collection de chrysanthèmes, fleurs de l’automne, fleurs sévères, et qui ont été comparées par un légiste anglais à celles qu’on cueille dans l’étude du droit. Leigh Hunt, ce fidèle ami de Byron, raconte en outre que sir Edward Northey, un jurisconsulte qui vivait du temps de la reine Anne, avait eu l’idée d’implanter sur les vieux arbres du Temple une colonie de choucas. A l’entendre, le choucas était un oiseau grave qui, par la couleur de sa robe et par son caractère, rappelait assez

  1. Inn est le nom qu’on donnait autrefois à la maison de ville d’un grand seigneur et où il résidait pendant le temps de l’année qu’il faisait sa cour au roi. Le mot français qui lui correspond est hôtel. Les inns of court furent ainsi appelés, non comme on l’a dit, parce qu’ils étaient des auberges pour les étudians en droit, mais à cause des bâtimens, qui avaient appartenu à de nobles, familles.