Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comment sont des essences universelles, distinctes et spéciales en même temps (car celle du cercle n’est pas celle du carré), que nombre de platoniciens se sont efforcés de repousser au nom de Platon l’imputation d’une hypothèse aussi risquée; mais lors même que cette hypothèse ne serait pas sa pensée dernière, sa pensée constante ou même sa vraie pensée, on a pu s’y tromper. Il y a tout au moins incertitude, obscurité ou variation dans son langage, puisque d’excellens esprits, des interprètes habiles, se sont divisés sur le sens. Ce n’est pas tout; on l’a vu plus haut, Platon, voulant faire aisément comprendre comment la dialectique dégage des objets de l’expérience l’idée de leur essence, prend quelquefois un exemple vulgaire, l’exemple du premier objet venu, pour montrer comment on peut, des perceptions qui l’ont fait connaître, tirer une conception générale, et l’on dirait que cette généralisation banale, qui peut s’appliquer à tout, correspond à une idée éternellement existante. Il semble admettre qu’il y a idée non-seulement du pair, de l’impair, de l’égal, de l’inégal, mais de chacun de nos ustensiles usuels, puisqu’on en peut parler d’une manière générale et sans aucune espèce d’application. Quand ces exemples ne seraient qu’une manière de se faire entendre, il faut convenir qu’en rendant sa pensée plus intelligible il la rendait plus choquante, en tout cas moins acceptable, et je conçois l’embarras qu’éprouvent de sages disciples à expliquer ces témérités de leur maître et à le tirer de ce mauvais pas. Aussi s’empressent-ils de se rattacher à une autre interprétation de la théorie des idées, interprétation plus simple, plus naturelle, et à laquelle arrive bien vite quiconque, même en restant étranger à la dialectique platonicienne, reconnaît des vérités nécessaires : c’est de les restituer à l’intelligence divine, c’est de les regarder comme les idées de Dieu, pures, éternelles, inaltérables, parfaites, ainsi que Dieu même. Nos plus communes notions de la divinité nous portent à concevoir que Dieu, étant un esprit, ait des idées, si différentes qu’elles soient des nôtres, que ces idées soient analogues ou plutôt conformes à sa nature, et par conséquent puissent devenir les lois des choses et des intelligences, soit que l’on voie en Dieu l’être parfait, soit qu’on se borne à le révérer comme l’être tout-puissant. D’humbles esprits qui ne savent guère de lui que ce dernier attribut croiront aisément que les lois universelles de l’existence et de la nature sont en Dieu à titre de volontés. Cette doctrine, prise plus métaphysiquement, combine ou plutôt identifie avec l’intelligence divine les idées de Platon. Dieu, étant la raison suprême des choses, en contient en soi dans une ineffable unité les raisons, les types et les lois. Nous trouvons une certaine représentation, une faible image de cette conception de l’intelligence infinie dans la réunion que présente notre esprit de notions