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obéissance il raconte tout bas, loin de toute oreille indiscrète et avec une petite nuance dédaigneuse, qu’un bounio (gouverneur) n’a nul droit à tant d’égards, qu’à Yeddo on ne fléchit le genou que devant les grands princes de l’empire, et que cette petite comédie de politesse se joue à Yokohama pour les étrangers.

On cite avec raison le peuple japonais comme le peuple chez lequel les formes de la civilité sont le plus scrupuleusement observées. Deux officiers, deux marchands qui se croisent dans la rue, s’arrêtent vis-à-vis l’un de l’autre et s’inclinent en même temps gravement et profondément avant de continuer leur route. Il n’y a ni raideur, ni ostentation dans leur salut ; ce sont souvent deux amis qui se voient chaque jour et qui cependant se garderont d’oublier ces signes extérieurs de politesse. Chez les femmes, le cérémonial paraît encore plus complet ; il est curieux d’étudier la plus petite bourgeoise recevant une amie. Elles se frappent plusieurs fois le front contre la natte sur laquelle elles sont accroupies ; leurs figures riantes et animées expriment le bonheur de se revoir ; s’il y a eu entre elles quelque service rendu et accepté, avant toute conversation on se remercie et à plusieurs reprises. « Grand merci pour le service d’hier et d’autrefois, » répètent la famille et les petits enfans. La maîtresse de la maison bourre elle-même sa petite pipe, l’allume, l’essuie et la passe à son amie avec l’indispensable tasse de thé. Si des rapports entre égaux nous passons aux relations entre le maître et ses domestiques, nous y trouvons, au sein d’une autorité sans conteste d’une part et d’une humilité évidente de l’autre, une familiarité incompatible à nos yeux avec, le sentiment de la supériorité hiérarchique. En vain chercherions-nous dans notre société moderne des points de comparaison avec un intérieur japonais ; l’idée que nous nous faisons de la vie patriarcale est la seule peut-être qui s’en rapproche assez exactement. Dans la société japonaise, le domestique est de la maison, il est au courant de tout, consulté sur beaucoup de choses ; la loi le consacre pour ainsi dire comme un fils. Meurtrier de son maître, il est puni comme parricide, transpercé de deux lances en croix.

Rien de plus simple et en même temps rien de plus propre qu’une maison bourgeoise au Japon. Au rez-de-chaussée la boutique, au premier l’habitation, toutes deux communiquant par un escalier bien en évidence, dont la partie pleine est généralement une suite de tiroirs superposés. Le toit est lourd, recouvert de tuiles pesantes qui écrasent l’édifice, mais lui donnent, dit-on, de la stabilité contre les tremblemens de terre. Les piliers qui le soutiennent sont rejoints entre eux par des cloisons en papier glissant dans des rainures. Le plancher mobile, en pièces à peine rabotées et mal jointes, repose sur de nombreuses traverses. De grosses nattes