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afflige qui voudra. Pour ma part, en échange du moindre supplément de vérité ajouté au commerce des hommes, je dis adieu sans un soupir au beau monde, à ses fêtes, à ses carrosses et à ses livrées.

Mais si le droit nouveau a la prétention de se jouer de tout engagement et de s’affranchir de toute prudence, s’il persiste à reconnaître pour loi souveraine tout désir quelconque des populations, quelque barrière morale ou matérielle qu’il faille franchir pour le satisfaire, si, dès qu’une velléité de grandeur ou une fumée d’ambition s’empare d’un peuple, le droit nouveau est prêt à se mettre à son service pour l’autoriser à déchirer tous les parchemins et l’encourager à enjamber toutes les frontières, — alors que l’Europe n’espère pas trouver à l’ombre de ce droit si accommodant et si menaçant tout ensemble même un jour de repos. Ce prétendu droit, qu’il le sache ou non, ne fait qu’ouvrir la porte et frayer le chemin à l’empire éhonté de la force. A l’aide de ces scrutins populaires si imprudemment érigés en moyen d’accroissement indéfini, quelque énorme unité nationale ne peut manquer de s’élever, qui saura se jouer du vœu des populations après s’en être servi, le faire taire à son gré après l’avoir fait parler à son profit, et, au moyen de la puissance acquise par des annexions volontaires, procéder violemment et sans résistance possible à des annexions forcées. C’est la France qui a joué dans une première épreuve ce rôle plus triste que glorieux. C’est ailleurs qu’on regarde et un autre nom qu’on prononce aujourd’hui ; il n’importe : ce n’est pas là ce que nous regrettons. Bonaparte ou Bismarck, ce qu’il faut condamner partout, c’est l’hypocrisie qui fait sortir l’oppression des peuples de l’hommage exagéré rendu à leur souveraineté même.

Tels sont les deux partis entre lesquels la souveraineté populaire doit choisir. Qu’on me laisse dire qu’il lui importe d’avoir au plus tôt fait son choix. Il y va de son honneur, déjà trop compromis. Ce n’est pas en effet, nous l’avons déjà rappelé, la première inquiétude qu’elle donne aux amis de la dignité et de la liberté humaines. Il y a longtemps qu’ils la soupçonnent d’avoir pour la force d’étranges complaisances et de secrètes prédilections. Dans le gouvernement intérieur des états, on sait les facilités qu’elle prête au pouvoir absolu, et qui ont grandement entaché sa renommée ; Sans aller bien loin de nous et sans même remonter au-delà des débuts de ce siècle, combien compte-t-on de coups d’états ratifiés, combien de dictatures instituées par le suffrage universel ! combien d’attentats à la liberté ont été consommés au nom du salut public par décret du peuple souverain ! combien de fois le despotisme est sorti tout armé des eaux de la démocratie ou y est venu retremper sa vigueur défaillante ! Quelle docilité les masses populaires n’ont-elles pas toujours témoignée, par leurs votes aussi bien