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du mal et l’exagération des conséquences qui ont amené le remède. C’est du règne même de Charles-Quint que date dans la politique européenne la recherche systématique d’un équilibre à établir entre les états. C’était jusque-là une idée vague, un instinct de défense irréfléchi. A partir du jour où le développement démesuré d’une seule puissance, acquis par des moyens parfaitement conformes aux principes juridiques du temps, eut mis dans un danger évident l’indépendance de toutes les autres, l’idée a pris corps, l’instinct s’est fait raisonnement, et la résolution a été prise d’un commun accord par tous les états ainsi menacés non-seulement de déraciner cette formidable excroissance, mais de prévenir la renaissance de pareilles agglomérations en les étouffant dans leur germe. C’est à quoi l’Europe est parvenue : d’abord par l’effort d’une lutte sanglante dont la France a eu l’honneur de tenir la tête, puis, la monarchie de Charles-Quint une fois dissoute, le résultat obtenu a été consacré, à quel prix ? au prix d’une dérogation formelle et formellement consentie au principe élémentaire et fondamental de l’ancien droit. Un usage qui n’a pas tardé à se faire loi, une exception bientôt aussi répandue dans la règle a établi que l’hérédité, cette essence du droit monarchique, cesserait d’avoir son cours toutes les fois qu’elle pourrait avoir pour conséquence de réunir aux mains d’un seul possesseur une somme de puissance dangereuse pour la liberté commune. Dans ce cas, dans le cas où un double ou un triple héritage constituerait un trop puissant ensemble de souveraineté, il a été unanimement admis que l’héritier ferait son choix entre ses avantages et ne pourrait prétendre à les garder tous. Le premier exemple d’une renonciation de ce genre fut donné par Charles-Quint lui-même, qui de son vivant partagea ses deux couronnes entre ses deux successeurs. La France en donna, plus d’un siècle après, un autre non moins éclatant lorsqu’en envoyant un petit-fils de Louis XIV régner à Madrid elle lui laissa prendre par le traité d’Utrecht l’engagement de ne jamais prétendre, même quand un titre de primogéniture l’y appellerait, à monter sur le trône de la patrie qu’il quittait. Après de pareils modèles, tout le monde eût été mal venu à se montrer difficile, et la renonciation préventive à toute réunion éventuelle de couronnes devint une formule de style dans tous les actes de succession et de mariages royaux.

On voit maintenant comment l’ancien droit, dans un intérêt d’équilibre, avait consenti à laisser tempérer et périmer même en certains cas la conséquence de son principe, et réciproquement on peut se convaincre que le système de l’équilibre est intervenu, non point, ainsi qu’on le suppose, comme une conséquence du droit monarchique, mais bien au contraire pour en restreindre et en