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sonné. Quand cette proposition serait négative, quand elle nous laisserait en suspens devant un dilemme contradictoire, elle aurait sa part d’évidence et de vérité. La faculté de le reconnaître est une faculté qui peut avoir besoin, pour y parvenir, des longueurs de l’induction ou de la déduction ; mais elle voit directement le point où elle est parvenue. Le procédé qu’elle emploie pour atteindre une vérité peut être discursif ; mais elle est intuitive, comme on dit en termes d’école. Après plus ou moins d’efforts, la raison reconnaît la vérité ou plutôt se reconnaît elle-même. Il n’est donc pas exact, comme on le dit souvent, que le raisonnement ne puisse rien établir. Ou il n’est qu’un vain mot, qu’une suite de phrases dénuées de sens et de liaison, ou il suppose et il doit supposer à chaque pas une intuition du vrai. En raisonnant, l’intelligence passe de positions en positions qui sont elles-mêmes autant de vérités ou d’intuitions successives pour arriver à une vérité finale qui peut très bien n’être pas le dernier mot de la science, mais qui est le terme provisoire de la recherche. Ainsi la dialectique, même comme méthode d’investigation, qu’elle emploie l’analyse, la déduction ou l’induction, suppose toujours une faculté d’intuition directe, une perception intellectuelle du vrai, ce qui n’est pas autre chose que la raison même.

Or maintenant il est un ordre de vérités ou de connaissances auxquelles la raison s’élève par le procédé dialectique, et qui sont empreintes d’un caractère de nécessité et d’universalité, ce qui manque aux connaissances immédiates qui résultent de la sensation. Si je vois un petit objet agréable, délicatement découpé, d’une couleur doucement purpurine, d’une odeur qui plaît, et que je passe outre, la connaissance que j’ai acquise ainsi se réduit au souvenir fugitif d’une sensation accidentelle prompte à faire place à des sensations différentes. C’est donc une connaissance instable, variable et qui n’a point d’avenir; mais si avec un peu d’attention je remarque les caractères distinctifs de cet objet passagèrement entrevu, si je le conçois comme une chose déterminée et reconnaissable et que je l’appelle une rose, j’acquiers une connaissance plus fixe, plus solide, plus générale. Je sais que c’est une rose et ce que c’est qu’une rose. Cette notion générale me donne à un certain degré l’essence de la rose, l’espèce dont je lui ai choisi le nom, sa nature constitutive, sa définition. Cette connaissance peut n’être pas complète; cependant c’est plus qu’un souvenir de sensation, c’est de la science, car j’appliquerai sans hésiter cette notion de la rose à tout objet qui présentera à mes sens le même phénomène. C’est une notion tellement générale que des logiciens l’ont dite infinie, parce qu’elle est indéfiniment applicable; c’est une connaissance qui peut être appelée science d’après la maxime com-