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le monde avec l’empire et la régularité d’une loi de la nature, comme le soleil monte ou descend à l’horizon. On a vu autrefois des peuples enfans qui adoraient le soleil, et une poésie fameuse prétend qu’à la même époque il y avait aussi des barbares insensés qui l’outrageaient par leurs clameurs. Nos savans d’aujourd’hui ne veulent ni tant de bien, ni tant de mal à l’astre qui les éclaire. Astronomes, ils se bornent à déterminer les lois de son mouvement ; physiciens, à en analyser les effets, cultivateurs et industriels, à utiliser ou à neutraliser tour à tour l’action de sa chaleur et de sa lumière.

Mais, sans se montrer ni adorateur servile ni détracteur attardé de cette souveraineté populaire désormais acquise et irrésistible, il est permis de lui rappeler qu’elle n’échappe pas à une condition qui pèse également sur tous les principes et sur tous les pouvoirs. Elle a ses limites posées par des droits égaux, sinon supérieurs aux siens, limites qu’elle doit garder sous peine de périr elle-même en les franchissant, car c’est une loi aussi de la nature morale que tout pouvoir humain doit être limité pour sa propre sauvegarde et dans son propre intérêt, que les bornes qui le contiennent sont en même temps les remparts qui le défendent, et que, dès qu’il veut être exempt de limites, il se trouve, au même instant, par une prompte justice, également dénué de garantie.

C’est une épreuve que la souveraineté populaire a déjà faite dans le régime intérieur des états où il lui a été donné de prévaloir. Le temps n’est pas loin où, dans la ferveur d’un premier amour, les théoriciens de la souveraineté du peuple ne voulaient admettre aucune réserve à l’empire absolu de ce droit, je dirais volontiers au culte de ce dieu nouveau. La voix du peuple était pour eux la voix divine, infaillible, et à ce titre omnipotente. Rousseau lui accordait sans détour le droit de régir la conscience aussi bien que les actes des hommes, de poser et de déplacer à son gré les bases de la religion et de la morale. Le peuple était la raison elle-même, source du bien comme du droit, donnant à toutes choses sa seule volonté pour règle et dispensé lui-même d’en reconnaître aucune. Le premier essai de cette idolâtrie politique en a fait justice pour jamais. Le dieu, à peine évoqué, s’est incarné sous les traits de la convention nationale, c’est-à-dire du seul gouvernement de ce monde qui ait jamais pris ostensiblement la terreur pour emblème. Le despotisme illimité d’une majorité de hasard dominée par une minorité criminelle a été le fruit naturel en même temps que le juste châtiment d’un système qui livrait l’individu sans défense à l’aveugle pouvoir de la masse, et cette sanglante expérience a suffi pour démontrer au monde entier, sauf à d’incorrigibles fanatiques, que, si la volonté nationale veut être, je ne dis pas souveraine,