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depuis le congrès de Vienne que le droit populaire reparaissait cette fois encore à Paris, s’annonçant avec éclat par la déchéance d’un roi et l’avènement électif d’un autre. Tenu en bride par l’Europe, encore sur ses gardes pendant tout le règne de Louis-Philippe, 1848 le remet tout à fait en liberté, et le voilà de nouveau qui court le monde, provoquant et suivant la révolution de capitale en capitale. 1852 ne l’a pas désavoué ; loin de là, c’est à partir de cette date au contraire, à partir de ce second empire si facilement accepté par toute l’Europe, que ce droit nouveau (c’est le nom courant qu’on lui donne) paraît définitivement avoir pris rang parmi les ressorts réguliers et les combinaisons légitimes de la politique. Non-seulement le nouvel empereur ne manque aucune occasion d’y faire appel et d’en recommander la pratique à tous ses confrères en royauté, — on ne pouvait attendre moins d’un favori de suffrage universel ; — mais, ce qu’on n’avait pas encore vu, de vieilles races royales viennent lui rendre un hommage qu’il faut bien croire sincère, puisqu’il a été promptement et largement récompensé. La maison de Savoie lui doit l’essor inattendu de sa grandeur. La maison de Hohenzollern lui sourit du coin de l’œil. Des successeurs de Pitt, des ministres de la Grande-Bretagne, l’invoquent dans leurs dépêches. Appuyé sur de tels introducteurs, le droit nouveau n’a plus besoin de forcer la porte des chancelleries d’ambassade ; il y entre tout droit, sans effort, et la diplomatie tout entière, un peu déconcertée, mais intimidée, s’incline pour le laisser passer.

Se montre-t-il du moins dans cette nouvelle épreuve plus sage que dans la première, plus respectueux pour la foi jurée, d’un commerce plus sûr, d’un maniement plus commode dans les relations de voisinage ? On voudrait le croire pour l’honneur du principe lui-même qui a enflammé tant d’âmes généreuses, et qui se recommande par tant de titres à la raison, on le voudrait surtout pour le repos de l’Europe, qui paraît destinée à ne plus connaître d’autre règle politique que celle-là ; mais à quoi bon dissimuler ce que tout le monde sent et voit ? A qui pourrait-on cacher que cette réapparition du droit nouveau est signalée, tout comme son premier essai, par un trouble universel dont la gravité, loin de s’atténuer, paraît croître de jour en jour ? Deux grandes guerres en moins de dix années, tous les traités existans annulés, de nouvelles conventions sans force, la base territoriale de tous les états mise en question, toutes les armées d’Europe au complet et toutes les imaginations à l’œuvre pour inventer de nouveaux engins de destruction, ces traits, qui n’ont rien d’exagéré, sont la peinture fidèle et plutôt adoucie qu’assombrie de ce que produit sous nos yeux le jeu de la souveraineté populaire se donnant carrière à travers la société européenne. C’est moins de sang, Dieu merci ! qu’en 93, mais c’est presque