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talens naturels destinaient à s’élever, qui languissaient sans espoir, et se trouvèrent prêts à monter au premier appel. Le flot qui s’était accumulé contre l’écluse déborda naturellement dès qu’elle fut ouverte. La monarchie avait préparé ces excellens instrumens et négligé de s’en servir. La république eut la chance heureuse de les mettre en œuvre sans avoir besoin de les attendre. C’est une bonne fortune d’ailleurs qui lui échut à peu près dans toutes les professions de la société. Presque partout elle rencontra une réserve de gens de mérite que les exclusions étroites de l’ancien régime laissaient sans emplois dignes d’eux, et qui lui surent gré de les avoir mis au jour. C’étaient des capitaux qui languissaient dans les caves d’un avare et qui se trouvèrent prêts pour faire face aux spéculations ou aux fantaisies de son héritier. Si l’on veut une plus noble comparaison, c’étaient des futaies toutes venues qui s’étouffaient dans une forêt mal aménagée, et qu’on n’eut que la peine d’éclaircir.

J’insiste sur ces considérations, d’abord parce qu’elles ne sont dépourvues par elles-mêmes ni de nouveauté ni de valeur, ensuite parce qu’elles font voir qu’un écrivain consciencieux ne risque rien de rompre en visière aux fantaisies historiques sur lesquelles repose trop souvent l’opinion du commun de ses lecteurs. S’il y a une part de vérité dans ces imaginations, ne craignez rien, elle se retrouvera toujours dans un récit sincère, et elle aura gagné à être dégagée des erreurs qui la dénaturent et remise sur un terrain plus solide. Si le sentiment vulgaire, comme il arrive souvent, est juste au fond, quoique aveugle et confus, en creusant un peu, en étendant un peu ses regards, l’historien trouvera une raison à la fois plus pratique et plus haute qui réconciliera l’instinct de la foule avec l’appréciation réfléchie des bons juges et l’impitoyable réalité des faits. En définitive, dans le cas présent, il est bien vrai que les principes de la révolution française vinrent puissamment en aide au succès de ses armes ; mais ce fut en transformant des armées existantes, non en improvisant par une vertu créatrice que personne ne possède des armées qui n’existaient pas. De là aussi on peut tirer quelques applications qui nous touchent plus directement. On peut conclure qu’il ne serait ni aussi facile que beaucoup de publicistes libéraux se l’imaginent de ressusciter dans un nouveau péril les merveilles opérées par la première république, ni prudent de dissoudre en attendant une excellente armée toute dressée et des cadres d’officiers très bien remplis, dans la confiance que le patriotisme saurait bien toujours retrouver, au jour du besoin, l’équivalent de ces deux forces. La république ne les trouva qu’à la condition de ne pas avoir commencé par les détruire, et quant aux bons officiers qui lui firent défaut, elle y suppléa par la facilité