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vérité grave sur les monumens du passé, et que la main consciencieuse d’un érudit doit chercher à faire reparaître toutes les fois qu’elle s’obscurcit. Cette vérité-là, scrupuleuse dans ses moindres détails et d’une couleur juste dans toutes ses nuances, c’est celle que M. de Bourgoing s’applique à retrouver. Assurément, comme tout esprit élevé, il n’ignore pas que dans les grandes révolutions sociales le dernier mot appartient aux influences des idées morales et non à la force matérielle ; mais il sait aussi qu’au moins depuis l’invention de la poudre à canon les principes n’ont pas la vertu d’enfoncer à eux seuls les gros bataillons, et que, pour triompher sur un champ de bataille, il leur faut quelque instrument plus palpable qu’une simple proclamation de droits abstraits. Après tout, Dieu lui-même, qui est bien un principe et même le premier des principes, ne procède que rarement à l’exécution de ses desseins par la voie rapide des miracles. Il préfère appeler à son aide ce que la théologie appelle la filière des causes secondes, c’est-à-dire les incidens ordinaires de la vie et les passions naturelles des hommes. La révolution française ne peut s’offenser si ses disciples la traitent comme les plus dévots traitent la Providence, c’est-à-dire s’ils cherchent dans les ressorts ordinaires de la politique, dans la composition des armées, dans les intrigues ou les faiblesses des cabinets, les causes secondes de son triomphe. C’est à quoi M. de Bourgoing emploie une recherche fine et patiente, qui explique nos succès sans les rabaisser, et diminue la surprise sans rien enlever à l’admiration. En fin de compte, racontée par lui, la coalition de 92 ressemble à celle des chansons de Béranger comme le Charlemagne des Capitulaires à celui des romans de la Table-Ronde.

C’est ainsi qu’appuyé sur deux autorités très compétentes, celle de Dumouriez et celle de Napoléon, il réduit à sa juste valeur la part habituellement surfaite que prirent aux premières victoires les levées de volontaires nationaux. Non, la république n’eut point, comme on nous le répète tous les jours ; la puissance magique de faire sortir du sol, en le frappant du pied, quatorze armées toutes dressées pour courir à la victoire. Elle ne fit point en un jour des soldats et des généraux avec des paysans enlevés à la charrue. La vérité, que M. de Bourgoing ne craint pas d’exposer, c’est que, pendant cette première année où se joua le sort de notre indépendance, et jusqu’aux journées décisives de Valmy et de Jemmapes, les corps séparés de volontaires nationaux furent pour leur général en chef un embarras plus qu’une force : leur indiscipline, leur défaut de solidité, compromirent plus d’une fois des opérations délicates en cours d’exécution, en même temps que les facilités exceptionnelles qu’offraient ces corps privilégiés attirant les jeunes enthousiastes de bonne volonté, paralysaient le recrutement