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problème dont la portée s’étend devant nos regards naissait à peine. Dans l’orageuse obscurité de ces premiers jours, l’œil le plus perspicace n’aurait pas réussi à en dégager les conséquences. La vieille Europe était encore debout tout entière, appuyée sur son vieux droit public, et repoussant avec horreur et dédain les principes encore confus et sanglans dont la révolution française elle-même n’avait su faire qu’un instrument de désolation et de ruine. Perdre son temps à faire de la métaphysique diplomatique et Constitutionnelle sur une telle situation au lieu de se borner à en peindre la confusion et l’horreur, ce serait commettre la plus grande faute dont un historien puisse se rendre coupable, un anachronisme de sentimens et de couleurs. M. de Bourgoing s’est bien gardé d’une telle erreur ; mais le droit qu’un historien n’a pas, un lecteur et par conséquent un critique, qui n’est qu’un lecteur plus attentif, en peut user à l’aise. C’est le droit de la critique de faire part au public, à propos d’un livre, non-seulement de ce que le livre dit lui-même, mais de ce que, par l’heureux choix de matériaux qu’il a recueillis, il suggère et fait penser. Faire penser d’ailleurs, éveiller la réflexion, stimuler l’intelligence, la mettre sur la voie d’un progrès ou d’une solution, quel but plus élevé un écrivain peut-il se proposer, et quel meilleur compliment peut-on lui faire que de lui montrer qu’il y a réussi ?


I

Donnons pourtant, avant d’aborder les questions que le récit fait naître, quelque idée du livre lui-même, qui vaut bien la peine d’être étudié, et disons avant toutes choses à quel point de vue M. de Bourgoing s’est placé, quels sentimens l’animent, quels procédés historiques il emploie. C’est un compte qu’il est bon de régler tout de suite avec un auteur pour savoir d’avance à qui on a affaire, et la précaution est principalement utile quand il s’agit d’un récit qui traite d’une époque aussi controversée que la révolution française, dont les caractères et même les faits sont ordinairement altérés suivant les penchans ou les préjugés de chaque écrivain. Rien de pareil n’est à craindre dans le cas présent. Les préférences très décidées de M. de Bourgoing n’ôtent rien à la sincérité de ses peintures. M. de Bourgoing appartient sans doute comme sans détour, par le cœur autant que par le raisonnement, au grand parti qui reconnaît ses ancêtres parmi les défenseurs du sol national. S’il eût vécu en 1792, c’est pour la France qu’il eût pris les armes, pour la France tout entière, aussi bien pour les conquêtes de sa révolution que pour l’indépendance de son territoire. Cette sympathie perce très évidemment dans son langage et détermine le sens habituel de ses