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pas entièrement d’étudier aussi la marche de leur propre pensée. Cependant la réflexion sur les procédés intellectuels dans la recherche de la vérité paraît avoir commencé dans l’école d’Élée, qui suivit de très près celle de Pythagore. Après que Parménide, s’armant de la difficulté de concilier les connaissances que semblent donner les phénomènes avec les principes de la raison, créait toute une métaphysique qui étonne encore par la hardiesse et la profondeur, Zénon, pour la défendre, attaquait par le raisonnement tout ce que la sensation nous suggérait, et il a passé pour avoir inventé la dialectique. Tous deux vinrent à Athènes, et Socrate les entendit l’un et l’autre. Cette secte éléatique, souvent traitée dédaigneusement à cause de la subtilité paradoxale qu’on lui impute, pourrait bien avoir déterminé le plus grand mouvement philosophique qu’ait vu le monde. La métaphysique de Parménide reparaît à chaque instant dans Platon, dont la dialectique vient de Socrate, qui tenait la sienne de Zénon. Ce dernier paraît avoir inauguré une méthode de discussion dont nous avons un admirable spécimen dans la première partie du Parménide. Cette méthode, qui procède par l’interrogation, emprunte naturellement la forme du dialogue dont elle porte presque le nom, et qui, bien conduit, se prête admirablement à l’analyse contradictoire des notions communes aux deux interlocuteurs. On ne sait pas ce que Socrate put ajouter à cette méthode ; mais on sait qu’il en fit une nouvelle et saisissante application : il la transporta des questions ontologiques ou métaphysiques aux questions morales. Soumettant à une discussion tout éléatique les motifs, les sentimens et les préceptes qui président à la conduite des sociétés et des individus, il attaqua l’empirisme moral pour lui substituer une doctrine rationnelle du devoir. En relevant la conscience humaine au niveau de la raison pure, il fit de la dialectique l’instrument de cette science suprême que lui avait recommandée le divin oracle : connais-toi toi-même !

Ce n’est pas ici le lieu de donner une théorie de la dialectique. On voit bien qu’elle était surtout l’art de débattre les opinions reçues, les connaissances que nous croyons avoir, afin d’en démêler tous les élémens, d’en montrer l’origine, la portée, le faible ou l’illusion, et, en les passant au contrôle le plus sévère, de les vérifier, les redresser ou les détruire. L’indépendance de Socrate, l’originalité de son esprit, la hauteur de sa vertu, en firent un juge rigoureux de la moralité de son temps, et, en entreprenant de la réformer, il ne pouvait éviter de critiquer tout ce qui contribuait à l’établir, l’éducation, l’usage, la politique, la religion. Il devint donc comme le censeur d’Athènes, l’adversaire redouté de l’opinion publique. C’était courir de gaîté de cœur un grand danger. Tout en choquant la multitude, il sut aussi se faire des ennemis particuliers. Il