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mettre de son côté, s’est montré peut-être critique plus fidèle en se montrant moins hardiment philosophe. Quoi qu’il en soit, il n’aurait pas été inutile à l’un ni à l’autre de connaître les vues de nos deux positivistes anglais et de s’en servir pour contrôler les leurs. Ces nouveaux commentateurs ont ceci de particulier, qu’ils n’étaient pas naturellement disciples de Platon, qu’aucune tendance d’école, qu’aucun parti-pris ne les ramenait à lui, et leur admiration est d’autant plus frappante qu’elle est en quelque sorte plus désintéressée que la nôtre.

J’essaierai de montrer ce qu’il me semble qu’on peut leur emprunter en toute sûreté et sans compromettre ce qu’on regarde en France comme des vérités acquises, ce qui m’obligera de m’expliquer sur la dialectique et les idées. Ces deux mots n’ont rien de bien particulier, on les retrouve dans presque toute philosophie; mais ils ne signifient dans aucune ce qu’ils signifient chez Platon et ses prosélytes, et c’est déjà un signe qu’il n’était pas un simple critique et qu’il a dogmatisé pour son compte.


II.

M. Cousin, un peu en peine pour déterminer la conclusion du Théétète, a dit que ce dialogue tendait à mettre l’esprit philosophique à la place de la philosophie. Il avait raison; mais il en aurait pu dire autant de bien d’autres dialogues que le Théétète, L’esprit philosophique, c’est-à-dire le goût et le talent de pratiquer avec méthode le libre examen, a toujours tenu une grande place, et souvent la première, dans les enseignemens de la philosophie. Il n’en est aucune qui ait plus attaché de prix à la manière de concevoir la science et de chercher la vérité que la philosophie de Socrate, et s’il est quelque chose dont Platon se crût avant tout redevable à son maître et qu’il tînt à conserver, à perfectionner et à propager, c’était assurément cet art de remplacer par un savoir rationnel les connaissances confuses, fortuites et variables puisées dans la commune expérience. Cet art, Socrate y avait excellé; mais il ne l’avait point inventé tout entier, quoiqu’il l’eût éprouvé et développé, en le pratiquant avec une puissance, une solidité et une séduction qui n’ont jamais été égalées.

Tout le monde sait que les premières philosophies que l’Asie-Mineure donna à la Grèce et au midi de l’Italie furent éminemment cosmologiques. Au début, on appela sages ceux qui voulaient du premier coup arracher à la nature le secret de l’origine et de la constitution de l’univers. Toute cette cosmologie était, à bien y regarder, une métaphysique presque autant qu’une physique, et sans doute ceux qui produisirent ces premiers systèmes ne négligèrent