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ter ses entretiens. Assurément des compositions espacées dans une si longue suite d’années doivent n’avoir pas été toutes d’une valeur égale. Rien n’est donc plus hasardeux que de prétendre qu’un ouvrage n’est pas d’un auteur parce qu’il n’est pas digne de lui. Qui donc a beaucoup écrit en se soutenant toujours au même niveau? Si les dates des tragédies de Corneille et de Racine n’étaient bien connues, les raisons ne manqueraient pas pour délivrer l’un de Pertharite et d’Agésilas, et l’autre des Frères ennemis et d’Alexandre. Si l’on ignorait qui a composé le Temple de Gnide, on prouverait aisément que ce ne peut être l’auteur des Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains. La jeunesse et la vieillesse sont des excuses ou des explications toujours prêtes quand il faut rendre raison des erreurs ou des défaillances du talent; mais la manie des éditeurs et commentateurs des anciens est de vouloir que ceux-ci ne s’oublient jamais, demeurent toujours égaux à eux-mêmes, et que le souffle de l’inspiration les ait soutenus toute leur vie.

Disons-en autant des objections que l’on puiserait contre l’authenticité d’un ouvrage dans les variations, les invraisemblances, les contradictions même qu’il offrirait par comparaison avec la manière de penser bien connue de l’auteur dont il porte le nom. L’inconsistance n’est pas rare, même chez les penseurs de profession. Le changement d’idées n’est pas toujours d’ailleurs la preuve d’une faiblesse d’esprit. L’âge, l’expérience, la réflexion, peuvent amener le plus habile et le plus sincère à paraître se démentir en se redressant lui-même, et puis enfin la raison la plus sûre, la plus forte, ne peut s’assurer de traverser toujours constante les rudes épreuves de la métaphysique. Des contradictions, on en trouverait jusque dans le systématique Aristote. Descartes et Kant n’en sont pas exempts. Les dogmes d’une religion sont bien plus littéralement fixes dans leur expression que les opinions philosophiques, et l’on pourrait citer tel passage de Bossuet qui est en contradiction formelle avec la doctrine de l’immaculée conception, à laquelle il a toujours passé pour favorable. En devrait-on conclure que le Discours sur l’histoire universelle n’est pas de Bossuet? C’est d’ailleurs oser beaucoup que de prononcer qu’une opinion qui se lit dans Platon n’a pu être écrite de sa main. On s’exposerait à s’inscrire en faux contre toute doctrine qu’on désapprouverait. On croit rendre hommage à un grand esprit en rejetant en son nom ce qu’on a rejeté pour soi-même. Nous lisons que le stoïcien Panétius déclarait le Phédon apocryphe, parce qu’il ne croyait pas lui-même à l’immortalité de l’âme; de nos jours Schelling récusait le Timée, parce qu’il n’y trouvait plus la doctrine de l’identité absolue du