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bande de papier. Si à côté de ce sténographe d’une prestesse inouïe le télégraphe fait deux marques destinées à enregistrer deux observations quelconques, on n’a plus qu’à relever le nombre des sinuosités qui serpentent entre les deux marques, et l’on aura en millièmes de seconde la différence des instans qui correspondent à ces marques. Un diapason peut donc se convertir en un chronomètre d’une précision pour ainsi dire illimitée. Ces exemples suffiront pour faire comprendre que l’acoustique a pu faire de grands progrès par des voies indirectes. Les impressions que l’oreille perçoit n’ont jamais la netteté de celles qui nous arrivent par les yeux. L’oreille est artiste, l’œil est savant. L’oreille jouit de la beauté des sons, l’œil en compte les vibrations, il se fait le trésorier de l’organe paresseux qui ne sait pas compter au-delà des premiers nombres, qui ne distingue que les intervalles musicaux.

Les travaux récens de M. Helmholtz nous ont appris que les harmoniques existent dans tous les sons musicaux, que le nombre et la force relative des harmoniques d’un son en déterminent le timbre. « Tout corps qui résonne librement, dit M. Radau, est à lui seul un petit orchestre. Le son le plus grave donne le ton, les autres, tous plus aigus les uns que les autres, accompagnent en sourdine. C’est cela qui fait le timbre. Un timbre riche est un nid de sons harmonieux dont le gazouillement nous plaît sans que nous sachions pourquoi. » En même temps, les harmoniques se constituent en quelque sorte les gardiens de la consonnance. Si les deux notes fondamentales cessent d’être dans le rapport rigoureux qui en caractérise l’intervalle musical, les deux cortèges d’harmoniques se livrent bataille, et les battemens plus ou moins sensibles qui se font entendre avertissent l’oreille qu’il y a dissonance. M. Helmholtz a basé sur cette remarque toute une doctrine musicale qui s’accorde de point en point avec celle que les musiciens ont déduite de leur sentiment instinctif. Sauveur avait déjà deviné dès l’année 1700 l’importance des battemens au point de vue de la théorie de la musique.

Ce livre de M. Radau trouvera d’autant plus de lecteurs que c’est le premier livre populaire qui ait été publié sur l’acoustique. Cette branche de la physique si intéressante pour tout le monde ne paraissait jusqu’ici accessible qu’à un petit nombre d’initiés, revêtue qu’elle était d’un appareil scientifique admirablement ingénieux, mais difficilement abordable. Par la direction imprimée depuis plusieurs années à ses travaux de laboratoire non moins que par la clarté qu’il sait introduire dans les théories les plus embrouillées, M. Radau était particulièrement propre à la tâche qu’il a entreprise. On peut dire qu’il s’en est tiré à son honneur. Des anecdotes, des épisodes bien choisis, rendent son livre attachant; la rigueur du langage le rend utile et instructif. Il a su laisser à la science, tout en lui donnant une forme attrayante, ce caractère de précision qu’on lui enlève trop souvent sous prétexte de la vulgariser.


ALFRED EBELOT.