Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mme de Campvallon est en effet le portrait de scélérate le plus ferme qu’on ait tracé dans la littérature depuis le sinistre chef-d’œuvre de Laclos. Mme de Merteuil n’a pas une présence d’esprit plus redoutable que Mme de Campvallon, sa main n’a pas rivé Valmont à sa chaîne avec plus d’adresse et de vigueur que Mme de Campvallon n’a rivé Camors à la sienne, et la petite Cécile Volange est une victime moins touchante que Marie de Tècle. Mais Mme de Campvallon possède un mérite que ne possède pas Mme de Merteuil, c’est que, malgré ses crimes, elle retient une partie de la sympathie du lecteur. Moins profonde que Mme de Merteuil, elle met dans le mal plus d’entraînement; elle n’est pas scélérate par machiavélisme politique, mais elle porte dans le crime les instincts et les facultés qui font les artistes. Mme de Campvallon est une personne d’une âme rare autant que dangereuse, dont la nature est tout entière dans l’imagination, et qui mesure ce qu’elle est en droit d’exiger de son amant d’après le type de passion qu’elle s’est formé en pensée, et auquel elle est pour sa part destinée à rester fidèle, coûte que coûte. Lorsqu’on la voit apparaître pour la première fois au château de Campvallon si fière et si noble, qui oserait soupçonner qu’elle peut contenir un monstre? Mais, pour qui sait bien comprendre, il n’y a pas contradiction entre ce personnage du début et le personnage de la dernière partie. Tout ce caractère est contenu dans un seul fait, la décision hardie et franche avec laquelle elle vient offrir sa main à son cousin; cette même franchise qu’elle avait en pleine innocence, elle la conserve au milieu du crime, et quand elle chuchote le terrible mot à l’oreille de Camors, c’est avec autant de loyauté, s’il nous est permis d’employer cette expression, qu’elle lui avait fait autrefois l’offre de sa main.

Maintenant oserai-je dire à l’auteur que cette dernière partie, si dramatique, me semble un peu concise? Les scènes qui la composent sont une série de dessins plutôt qu’une succession de tableaux. L’auteur s’est contenté d’esquisser les situations, en marquant d’un coup de crayon vigoureux les traits de caractère qu’il voulait faire saillir ou les points sur lesquels il voulait faire porter l’attention du lecteur. Rien n’est imparfait sans doute; mais tout est rapide, et l’on dirait qu’arrivé à une certaine partie de son récit, M. Feuillet a éprouvé comme une sorte de hâte à quitter un sujet qui peut-être pesait à son cœur. Cette rapidité frappe d’autant plus qu’elle fait contraste avec le développement que l’auteur a donné aux deux parties précédentes, notamment à la partie intermédiaire.

Puisque la mention de cette partie intermédiaire nous permet de revenir sur nos pas, n’oublions pas de payer le tribut de justes éloges qu’ils réclament à l’excellent portrait de M. Des Rameures,