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miration. Le texte était excellent; la traduction, très soignée, visait à prêter aux pensées de l’Athénien la parure d’une diction toute française. L’auteur avait tenu à ce que Platon fût éloquent et rien de plus. De belles et saines idées ornées d’un élégant et noble style, c’était là l’important. De métaphysique, pas un mot ; vrai hors-d’œuvre qui n’avait besoin d’être ni étudié laborieusement ni exactement rendu. Le docte interprète était un peu dédaigneusement sceptique à l’endroit de la métaphysique.

Depuis lors les choses ont bien changé. Ce n’est pas que nous ayons cessé d’admirer dans Platon un talent incomparable, et, pour mon compte, s’il fallait citer entre toutes les littératures le chef-d’œuvre de l’art de composer et d’écrire, je ne serais pas éloigné de nommer le Banquet. Il est bien vrai que cet ouvrage contient des choses qu’une grande habitude du génie de la Grèce ne rend encore qu’à peine tolérables; mais Racine, qui avait commencé à le traduire de compte à demi avec une abbesse de Fontevrault, nous apprend que l’illustre dame n’était pas arrêtée par là, et ces étrangetés mêmes amènent des effets dramatiques qui concourent à la beauté de l’ensemble. Aujourd’hui cependant on écarte les traits qui choquent et même ceux qu’on admire pour considérer de préférence, pour pénétrer les théories épurées de l’amour que nous enseignent les divers convives en se surpassant successivement les uns les autres par la subtilité et l’élévation. C’est que le platonisme est à présent ce qui nous intéresse le plus dans Platon. Nous nous inquiétons plus de ce qu’il a voulu dire que de la manière dont il l’a dit. M. Cousin est venu, et la philosophie ancienne a repris pour ainsi dire sa place dans l’esprit humain, et en tête de toute la philosophie ancienne celle du fondateur de l’Académie. C’est peut-être le plus grand service que M. Cousin ait rendu à la science et à la pensée, et toute son école, excitée et formée par lui à retourner vers les monumens de la sagesse antique, y a cherché moins les traces de l’art que celles de la vérité, qui peut être retrouvée tout à la fois par l’étude directe de la nature des choses et par l’histoire des efforts que les hommes ont faits pour la découvrir. Ce retour au passé, cet emploi de l’érudition et de la critique en vue des systèmes encore plus que des textes, rentrait particulièrement dans l’esprit éminemment historique de notre époque, et il a produit des ouvrages d’une haute valeur qui, entre autres noms, rappellent ceux de MM. Jules Simon, Lévêque, Paul Janet, Vacherot, B. Saint-Hilaire et Ravaisson. Il ne s’en faut pas de beaucoup que toute l’antiquité philosophique nous soit bien connue, et que M. Brandis lui-même ait désormais peu de chose à nous apprendre.

Pour Platon, M. Cousin a commencé. Il était temps; croirait-on qu’en 1776, c’est le grand helléniste Wyttenbach qui nous l’ap-