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pas, il sera de 42 millions en 1870, de 56 millions en 1880. En 1890, la population américaine sera plus nombreuse que celle de la Russie, soit 76 millions, et enfin en 1930, atteignant le chiffre de 251 millions, elle dépassera celle de toute l’Europe. La place ne lui manquera pas. Le territoire de l’Union, non compris l’Amérique russe, est de 2,819,000 milles anglais carrés. L’Angleterre, n’en ayant que 117,000, est vingt-cinq fois moins grande. Il y a quelques années à peine, les Américains n’occupaient que les terres penchant vers l’Atlantique, qui sont sablonneuses et peu fertiles. Maintenant ils peuplent rapidement le bassin du Mississipi, que M. de Tocqueville appelle la plus magnifique demeure que Dieu ait préparée pour l’homme. Elle est du moins assez étendue et assez fertile pour nourrir dans l’abondance 250 millions d’habitans. Ce bassin présente des plaines immenses, d’une pente presque insensible, configuration unique dans le monde, dit Humboldt, et qui permet de remonter les fleuves et d’établir dans toutes les directions canaux et chemins de fer presque sans frais. C’est à peu près la plaine hongroise multipliée par cent. Et le charbon, ce pain de l’industrie, quel prodigieux approvisionnement! La superficie du terrain carbonifère, qui en Angleterre est de 8,963 milles carrés, est dans l’Union de 196,650 milles reconnus, sans compter ce que recèlent les régions inexplorées de l’ouest. Les couches américaines sont aussi riches que celles de Newcastle; elles sont presque horizontales, ce qui en rend l’exploitation très facile. Elles contiennent, estime-t-on, six mille milliards de tonnes de houille, tandis que celles d’Angleterre n’en renferment que 190 milliards, soit trente fois moins. Ces houillères sont à peine exploitées à cause de la cherté de la main-d’œuvre. Elles ont livré cependant 15 millions de tonnes en 1860, c’est-à-dire moitié plus que celles de la France. Dans un siècle ou deux, quand nous serons à la veille de quitter nos foyers et de fermer nos usines faute de combustible, c’est l’Amérique qui nous en fournira. Faut-il parler des sources de pétrole, qui alimentent déjà les lampes d’une moitié de l’Europe, et du minerai de fer, qui se présente dans les iron mountains du Missouri sous la forme de montagnes entières composées du précieux métal, et des mines d’argent du Nevada, qui, ouvertes depuis si peu de temps qu’elles sont à peine connues parmi nous, ont déjà livré l’an dernier une valeur de 70 millions de francs, égale à la production des fameuses mines du Mexique?

Ces chiffres, tout énormes qu’ils paraissent, donnent à peine une idée des ressources naturelles du pays; mais ce qu’il faudrait comprendre surtout, c’est l’énergie de la race qui va les mettre en œuvre. Sous ce rapport, il n’y a aucune comparaison à faire entre la puissance d’un état européen et celle de l’Union. Dans nos socié-