Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est aussi la seule des républiques espagnoles où les idées libérales l’emportent et où l’on fait des sacrifices pour l’instruction publique. Les Chiliens firent un grief très sérieux aux Autrichiens de la Novara de ce que leur pays eût signé le fameux concordat dont M, de Beust essaie de s’affranchir aujourd’hui; mais les femmes, comme dans les pays catholiques d’Europe, sont restées soumises au clergé, et elles s’efforcent, obéissant à leurs directeurs de conscience, de ramener leurs maris dans la bonne voie.

Avant de terminer son livre si riche en renseignemens de toute sorte, M. von Scherzer en réunit quelques-uns touchant les États-Unis. C’est qu’en effet dans une étude de géographie économique sur les pays d’outre-mer il était impossible de ne pas parler des progrès de la grande république transatlantique. Ici encore on voudra bien nous permettre de citer des chiffres. Qu’on se garde d’en conclure que le statisticien ou l’économiste ne s’incline que devant les résultats matériels et n’adore que les millions. On ne peut trop le répéter, le peuple le plus digne de notre admiration n’est pas celui qui nourrit le plus de bœufs et de moutons, construit le plus de navires ou compte le plus de baïonnettes; c’est celui qui répand dans le monde les notions les plus pures de justice et de moralité. Seulement, comme la justice et la moralité produisent des habitudes d’ordre, de travail, d’économie, de prévoyance, et comme celles-ci engendrent le bien-être, il s’ensuit nécessairement qu’un peuple qui décline doit être infecté de quelque vice ou défaut grave, et qu’un peuple qui progresse ne peut être dépourvu des vertus essentielles à l’accomplissement de la destinée humaine. La comparaison des facultés intellectuelles ou des qualités morales des différens peuples est une question des plus délicates et très sujette à contestation. Le progrès économique peut se mesurer par des chiffres, c’est le seul dont je veuille m’occuper en ce moment.

Le développement de l’Union américaine est un phénomène nouveau dans l’histoire. Jamais on n’a vu surgir ainsi du sol une grande puissance tout armée, comme Minerve, dans l’espace d’un demi-siècle. C’est un fait si extraordinaire que parfois même les potentats oublient d’en tenir compte. Cet état prodigieux grandit avec une rapidité à donner le vertige à ceux qui essaient de la constater. Cessez de la suivre pendant quelques années, tout à coup la voilà transformée : elle compte deux ou trois états de plus, grands chacun comme un royaume européen. Considérez d’abord l’accroissement de la population. Elle double, comme on sait, tous les quarts de siècle avec une régularité qui ne s’est pas démentie jusqu’à ce jour, et que la dernière guerre civile seule aura pu troubler légèrement. Le nombre des habitans était de Ix millions en 1790, il doit s’élever aujourd’hui à 37 millions. Si la progression ne se ralentit