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peut être indéfiniment augmenté. En somme, Java n’est qu’une vaste exploitation, un faire-valoir gigantesque aux mains de la mère-patrie. C’est certainement le plus intéressant exemple de monopole qui existe dans le monde.

Actuellement le système du général van den Bosch est très vivement combattu en Hollande par le parti libéral. Au nom des principes de liberté et d’égalité, on réclame l’abolition du travail forcé et des corvées. Maintenant que la culture du café et du sucre est introduite, on veut que l’état vende ses plantations de cannes et de caféiers soit aux indigènes eux-mêmes, soit à de puissantes compagnies, qui paieraient le travail libre du Javanais au prix du marché, et qui, stimulées par l’intérêt individuel, tireraient meilleur parti des terres domaniales. La corvée, abolie aujourd’hui dans toute l’Europe, doit aussi disparaître dans l’Inde, dit-on, car elle ruine le sol et donne relativement de très pauvres résultats. Un seul fait suffit pour le prouver. À Ceylan, les particuliers obtiennent 432,594 pikols de café au moyen du travail de 32,448 indigènes, tandis qu’à Java l’état ne peut dépasser un produit de 900,000 pikols, quoiqu’il possède environ 300 millions d’arbres, et qu’il emploie 500,000 familles de travailleurs[1]. Cette question est trop difficile pour qu’on puisse la traiter en passant. Depuis plusieurs années, elle passionne au plus haut point les esprits dans les Pays-Bas, et déjà elle a eu le fatal privilège de renverser trois ou quatre ministères. C’est elle qui produit l’instabilité des cabinets en Hollande, car tel qui parviendrait à résoudre les difficultés que soulève la gestion des affaires de la mère-patrie succombe sur la question coloniale.

Visiter Manille après Java et Singapore, c’est passer brusquement d’un monde où tout est vie, progrès, lumière, dans un autre monde où règnent l’inertie, l’ignorance, la paresse, et où tout décline. La malheureuse Espagne a inoculé à ses colonies ce virus de l’intolérance et de la théocratie dont elle meurt elle-même. Sous cette influence fatale, ni la liberté, ni l’instruction, ni l’industrie, ne peuvent se développer. L’aspect de la place principale de la capitale de l’île Luçon, le somptueux et lourd palais de l’administration d’un côté, de l’autre la cathédrale dans le style adopté partout par les jésuites, des rues désertes où l’herbe pousse et où passent lentement un moine, un employé et quelques indigènes, puis au-delà des masures mal entretenues, tout cela indique que l’état et l’église se sont entendus pour exploiter à leur profit toute l’activité sociale. Point de journaux, point d’institutions scientifiques.

  1. Voyez une série d’études intitulées Koloniale Studien, par MM. van Woudrichem, ran Vliet et Suermondt. La Haye, 1867.