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ques appartiennent, il est vrai, à des étrangers : ce sont leurs capitaux et leurs bras qui font valoir notre sol, qui font notre commerce, qui développent les arts et l’industrie; mais, même s’ils quittent le pays après s’être enrichis, les résultats nous restent. Des étrangers montent nos navires, bâtissent et peuplent nos usines, achètent nos produits et les transportent au loin; ce sont eux qui exploitent nos rivières et nos forêts, qui cultivent nos champs et descendent dans nos mines, qui découvrent nos richesses et élèvent nos enfans. Le capital, la science, les instrumens, les machines, les forces vivantes qui créent les valeurs, c’est à eux que nous les devons. Tout cela est vrai, mais ne profitons-nous pas des fruits de leurs sueurs et des améliorations qu’ils introduisent? »

Malgré les brillantes promesses et les efforts des agens du Brésil en Europe, le chiffre des émigrans qui se dirigent vers ce pays est toujours très restreint, et la plupart sont des artisans qui se fixent dans les villes, non des cultivateurs disposés à peupler les campagnes. M. von Scherzer pense que l’émigration ne pourra jamais contribuer au salut de l’empire tant que subsisteront l’esclavage et le système de la parceria, qui fait de l’ouvrier européen un serf attaché à la glèbe[1]. Dans ces dernières années, la production du Brésil a subi une révolution complète. Celle du café a pris un développement considérable tandis que celle de toutes les autres denrées a beaucoup diminué. Le caféier n’a été introduit dans l’empire qu’en 1762 par le vice-roi, marquis de Lavradio. Jusque vers 1810, le produit de cette culture demeura insignifiant ; aujourd’hui elle représente plus de la moitié de la récolte totale du café dans le monde entier. On estime que celle-ci monte à 350 millions de kilos, et le Brésil y intervient pour plus de 200 millions, dont la plus grande partie est destinée à l’exportation. La culture de la canne à sucre a considérablement diminué. Le produit total est tombé de 150 millions à 75 millions de kilos, ce qui n’équivaut qu’à la trentième partie de la production totale du sucre sur le globe. Le coton forme encore un objet important d’exportation dont la valeur s’est élevée en 1865 à plus de 75 millions de francs; mais presque tous les autres produits tels que le riz, le tabac, l’indigo, la cochenille,

  1. Voici en quoi consiste ce système. Le planteur avance à l’ouvrier européen la somme nécessaire pour payer son voyage et ses frais d’installation; celui-ci est tenu de la lui rendre plus tard avec les intérêts. La récolte est partagée par moitié entre le propriétaire et l’émigrant; mais c’est le premier qui la vend et qui déduit les frais. Le produit net inscrit au profit du travailleur est souvent insuffisant pour couvrir l’intérêt de sa dette. En cas de contestation, la justice, paraît-il, lui donne toujours tort, et il meurt ainsi endetté sans même laisser à ses enfans la liberté et la propriété. Quelle différence avec le sort de l’émigrant aux États-Unis, quoique la terre y soit bien moins productive !