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— Elle a dit que, sa cause étant remise entre vos mains, elle ne pouvait plus transiger sans vous faire injure.

— Elle pouvait au moins me demander avis ; mais n’importe. Quelles sont vos intentions, monsieur ? car je suppose que vous avez quelque combinaison à me proposer.

—La plus naturelle de toutes. Je vous demande la permission d’occuper le siége du ministère public et de conclure, avec tous les égards qui vous sont dus, mais avec toute la fermeté que je dois aux principes, contre l’appel de Mme de Montbriand. »

Mainfroi se recueillit un moment, s’arma de tout son courage et répondit : « Décidément, monsieur, j’aime mieux me fustiger moi-même. L’autorité du procureur général restera plus intacte, et l’exemple sera plus grand. »

Et comme M. Boutan objectait que la chose était sans précédents, il répliqua : « Tous les actes un peu mémorables se sont produits sans précédents, et c’est à cette circonstance qu’ils ont dû de rester dans la mémoire des hommes. Je vous autorise à publier cette nouvelle : si j’ai changé de point de vue, je ne changerai pas de résolution. »

Là-dessus, il se remit à l’ouvrage ; mais au milieu de la journée il se rappela tout à coup un devoir plus urgent, Il ne voulait pas que Mme de Montbriand apprit par la rumeur publique la volte-face de son ancien défenseur : il devait à sa cliente et à lui— même de l’informer directement, de lui porter à domicile ses explications et ses excuses, dut-elle les prendre mal. La démarche était non-seulement embarrassante, mais hasardeuse. Mainfroi s’attendait aux violences d’un caractère indompté ; cependant, ce n’était pas là ce qui l’inquiétait le plus : il craignait que la colère ne mit à nu quelque côté moins noble de cette âme. Dans le monde moral, comme dans le monde physique, les ouragans sont d’admirables et terribles révélateurs, qui découvrent tantôt des filons d’or, tantôt des fleuves de boue.

« Madame est chez elle ? »

La chambrière répondit rudement : « Si elle y est ? je crois bien ! Il ne manquerait plus que ça qu’elle fût sortie, quand monsieur nous fait l’honneur et la grâce d’une visite. On se tient à vos ordres, et quand par hasard le temps dure trop, on se divertit à pleurer. »

Il n’avait pas franchi le seuil du petit salon que Marguerite lisait la gêne et la tristesse sur son visage. Elle courut à lui, lui appuya deux doigts sur la bouche et lui dit d’un ton suppliant : « Ne parlez pas, je vous le demande en grâce. J’ai des pressentiments infaillibles, mon pauvre ami. Je m’attendais à vous voir aujourd’hui ; je sens, à n’en pas douter, que nous nous retrouvons pour la dernière fois. Vous venez m’apporter une mauvaise nouvelle, me chercher