Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tèrent les détails recueillis de la bouche de M. de Montlouis, et se livrèrent contre le marquis de Pontcallec à des récriminations justifiées par la présomptueuse étourderie de l’homme qui les avait perdus. Si la France avait pu suivre les débats d’un pareil procès, couvert par un secret rigoureux, un dénoûment sanglant aurait été à peu près impossible, car, si le complot restait avéré, le ridicule et l’impuissance d’une pareille tentative l’étaient encore davantage.

La postérité a prêté au régent tous les torts parce qu’il eut tous les vices. Il en est un toutefois que personne n’a pu songer à lui imputer : ce prince fut si peu cruel qu’il poussa envers ses ennemis la clémence jusqu’à l’excès, non par vertu, mais par une sorte d’apathique indifférence. Je m’étais donc souvent demandé pourquoi l’homme qui rendit si promptement aux légitimés leurs honneurs et leurs palais fit tomber, au milieu d’une province fidèle et pacifiée, la tête de quatre malheureux dont aucun ne méritait qu’on lui fît l’honneur de le craindre. En lisant les pièces originales de cette procédure, je me suis rendu compte de l’influence quotidienne sous le coup de laquelle le duc d’Orléans se trouva placé durant les cinq mois qu’elle dura, influence qui provoqua soudainement une résolution que l’attitude du prince n’avait pas jusqu’alors laissé prévoir. Toutes les dépêches de Nantes sont couvertes de notes marginales de la main du garde des sceaux, et dans leur effrayant laconisme ces notes suent le sang. Les circonstances les plus insignifiantes y sont présentées comme ayant un sens mystérieux et une portée redoutable. Il est évident que d’Argenson veut alarmer le régent et préparer un grand exemple, bien moins contre la Bretagne que contre tous les parlemens et tous les pays d’états à la fois. Il a jugé l’occasion favorable pour prouver à la France que le prince si indulgent contre ses ennemis personnels peut se montrer implacable contre ceux qui osent attenter au droit de la couronne. On devine sans peine que les instrumens ne lui manquèrent pas pour mettre dans cette province la terreur à l’ordre du jour. Parmi ces agens empressés figurait, à Rennes, sous l’abri d’un secret qui doit cesser de protéger sa mémoire, M. de Brilhac, récemment appelé aux fonctions de premier président du parlement, magistrat d’un esprit commun et d’une âme vulgaire, qui concourut plus que personne aux résolutions rigoureuses, non qu’il en eût le goût, mais parce qu’il crut profitable de l’affecter[1].

  1. Je me borne à l’échantillon suivant de sa volumineuse correspondance : « Le bruit se répand ici que la chambre royale va être cassée, que c’est une des conditions de la paix avec l’Espagne que l’amnistie générale de tous les Bretons, qui retourneront tous incessamment chez eux. — Il ne m’est pas permis, monseigneur, d’entrer dans les secrets du cabinet; mais je crois qu’il est de mon devoir de vous représenter que, si ces bruits-là avaient malheureusement quelque fondement, et s’il ne se faisait pas bientôt des exemples éclatans, les honnêtes gens ne pourraient plus lever la tête, car j’ose vous assurer que leur repentir à tous n’est fondé que sur la seule attrition, et que leur cœur est absolument gâté. » Lettre à M. d’Argenson, 9 janvier 1720. — Archives impériales, nouveau fonds du contrôle-général, cartons de Bretagne.