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reconnaître, et qui brille d’un vif éclat dans la harangue suivante que vint débiter aux états, l’avant-veille de leur clôture, le maréchal, stupéfait de rencontrer au sein de l’assemblée mutilée une contradiction inattendue sur quelques questions insignifiantes.


« Messieurs des états, nous vous avons fait savoir les ordres que nous avons reçus de vous demander un fonds de 30,000 livres pour l’entretien des haras de la province et de 12,000 pour les appointemens des députés du commerce. Sur ce que nous avons été informé que vous n’y avez pas satisfait, nous n’avons pu nous dispenser de venir vous déclarer que les ordres du roi sont si précis que vous ne sauriez sans désobéissance apporter du retardement à les exécuter. Je vous prie donc, messieurs, de mettre de nouveau ces deux affaires en délibération, et d’avoir pour objet dans vos décisions la soumission que vous devez au roi. Il serait si douloureux pour moi de me trouver dans l’obligation de rendre compte à sa majesté de l’opposition que vous formeriez à ses volontés, que je n’ai point voulu me servir du ministère de M. votre procureur-général-syndic pour vous faire de nouvelles instances. Les mêmes raisons m’ont déterminé à vous apporter les arrêts du conseil, dont la lecture va vous être faite par M. votre greffier en notre présence. Je vous demande, messieurs, une délibération prompte et décisive. Si je ne craignais d’offenser votre zèle, je vous rapporterais les termes dont sa majesté se sert pour nous marquer qu’elle veut qu’ils soient exécutés, et je vous dirais qu’elle nous ordonne de vous faire savoir que, si quelqu’un ose s’opposer à l’exécution des arrêts de son conseil, elle saura le punir de son opiniâtreté et de sa désobéissance[1]. »


Ainsi parlait le représentant de l’autorité royale à ces gentilshommes outragés dans leur droit et dans leur honneur. De telles imprudences ne se commettent point impunément en un pays qui a conservé le respect de lui-même. Aussi la noblesse, désespérant désormais de sauver les libertés de la province par une loyale entente avec la couronne, se trouva-t-elle amenée à chercher une force nouvelle dans le principe d’association, puissante, mais périlleuse ressource des opprimés. Si les franchises administratives et financières de la Bretagne avaient eu leur complément naturel dans les libertés politiques qui en sont inséparables, l’association, si légitimement provoquée par les violences du commandant, se serait établie et maintenue à la clarté du jour sans passer de la résistance légale à la conspiration; mais il n’en pouvait être ainsi dans un pays où il n’existait aucun organe de la pensée publique, et à une époque où le système des lettres de cachet plaçait vingt-quatre mil-

  1. Séance du 22 septembre 1718.