Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savent faire autant ; la multiplicité des exemples n’ajouterait rien à la singularité du phénomène. Deux plantes célèbres, l’utriculaire et la vallisnérie, ont trouvé, pour assurer la fructification, des moyens non moins imprévus. Toutes deux sont aquatiques. La première, flottant sous les eaux de nos marécages, munit ses feuilles inférieures de petites utricules admirablement construites. Ces utricules lui servent d’abord de lest. Remplies d’un liquide épais et lourd, elles maintiennent la plante dans les régions moyennes qu’elle affectionne, ni trop près des bas-fonds vaseux, ni trop près de la surface agitée par les vents. Pour fleurir, il faut sortir de l’eau ; c’est alors que les utricules fonctionnent. Le liquide dense est rejeté, remplacé par un léger gaz distillé sur place, et l’utriculaire, soulevée par de véritables vessies natatoires, monte à la surface et fleurit en plein soleil ; puis, les beaux jours passent, il faut redescendre. Nouvelle intervention des utricules, qui, par une opération inverse de la précédente, chassent l’air qu’elles contenaient, se remplissent du liquide dense, et, convenablement alourdies, ramènent la plante entre deux eaux.

La vallisnerie avait à résoudre un problème plus compliqué. Elle est dioïque, c’est-à-dire que certains pieds ne portent que des fleurs à étamines tandis que les autres ne produisent que des fleurs à pistils. Quand vient le moment de la fécondation, un double mouvement s’opère. Du fond des eaux qu’habitent les deux sortes de fleurs, les femelles ou pistillées viennent s’épanouir à la surface, portées sur de longues hampes enroulées en spirales qui, suivant le niveau de la nappe liquide, s’allongent ou se resserrent, tandis que les fleurs mâles ou staminées, dépourvues de hampes élastiques, sont retenues prisonnières au fond des eaux. L’heure venue, la prison s’ouvre. Du cornet, disons mieux, de la spathe où elles étaient renfermées, elles s’échappent après avoir brisé les pédoncules qui les retenaient, montent en fiévreux tourbillon, et couvrent la surface des eaux de leurs paillettes argentées où se jouent les rayons du soleil. Les physiologistes, — est-ce une illusion ? — nous parlent même d’une sorte de frémissement au milieu duquel les fleurs staminées s’approchent des fleurs à pistils pour les couvrir de leur pollen ; puis les paillettes argentées, désormais inutiles, s’en vont entraînées par le courant, tandis que les corolles fécondées se referment, raccourcissent la spirale à laquelle elles sont attachées, et regagnent, pour y mûrir leurs fruits, leurs retraites silencieuses.

Les mouvemens de la vallisnerie, de l’utriculaire, des pistils, des étamines et des feuilles sont certes concluans au plus haut degré ; mais combien le spectacle serait plus saisissant encore, si l’on pou-