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XVIIe siècle n’a cessé de s’attacher à ses idées, malgré cependant la vérification éclatante qu’elles obtiennent de jour en jour dans la science expérimentale, au moins en ce qu’elles ont d’essentiel et d’original.

Au reste on n’appréciera jamais complètement le génie de Descartes, si on persiste à séparer en lui, comme le font d’ordinaire les historiens de la philosophie, le philosophe et le savant. Jamais Descartes n’eût admis ni même compris une pareille séparation. Sa philosophie est absolument une, et elle comprend non-seulement sa métaphysique, mais sa physique et sa physiologie. Sa méthode, la méthode d’analyse, est toujours la même, soit qu’il l’applique à la géométrie, soit qu’il l’applique à la métaphysique, ou enfin qu’il en fasse la règle générale de la pensée. C’est d’ailleurs une des tendances de l’esprit de notre temps de rattacher la philosophie aux sciences, comme autrefois de les séparer : nous cherchons la liaison des choses, tandis que nos maîtres étaient surtout attentifs aux différences. De ce changement de point de vue naîtront pour l’historien de la philosophie des obligations nouvelles. M. Millet, le nouveau biographe de Descartes, a bien compris cette nécessité. Déjà M. Bordas-Dumoulin avait fait une part considérable, peut-être même excessive, aux sciences dans son exposition du cartésianisme. Il reste cependant encore à M. Millet le mérite d’avoir suivi pas à pas et chronologiquement l’ordre des travaux scientifiques de Descartes et de ses travaux philosophiques, et de cette étude il résulte l’impression évidente que cette philosophie forme un tout qui, pour être bien compris, doit être étudié dans toutes ses parties.

Si le critique allemand que nous avons discuté juge Descartes avec une sévérité excessive, le critique français pêche peut-être à son tour par un excès contraire. Il ne met pas de bornes à son admiration pour Descartes, et même dans les sciences, où il ne devrait s’exprimer qu’avec une extrême réserve, il fait à Descartes une place vraiment disproportionnée. Sans doute le génie scientifique de Descartes est de premier ordre, et, sans sortir des faits les plus certains, il doit être compté au nombre des grands inventeurs; mais il me semble qu’il faudrait se contenter de le placer dans cette noble phalange, sans essayer de le mettre au-dessus de tous les autres. Descartes a découvert la géométrie analytique ou l’application de l’algèbre à la géométrie; il a découvert les lois de la réfraction, il a perfectionné et complété la théorie de l’arc-en-ciel; M. Millet croit en outre avoir des raisons d’affirmer que c’est Descartes qui a suggéré à Pascal l’expérience du Puy-de-Dôme. Enfin l’hypothèse de Descartes sur la nature de la lumière et de la cha-