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M. de Mondreville sous prétexte de lui porter les amitiés du ministre, mais surtout pour apprendre une nouvelle que ni Fleuron ni Dominique n’avaient su lui donner.

Le premier président lui parla de tout, excepté de l’arrêt, et la visite commençait à traîner en longueur, lorsque Mainfroi, prenant son grand courage, demanda d’un air détaché ce qui s’était passé la veille à l’audience.

« Mais peu de chose, répondit le vieillard. Nous avons confirmé deux jugements, je crois. Verdon contre Minguy et Lefranc contre Bonnard.

— Eh bien ! et Vaulignon ?

— Nous vous avons attendu.

— Là !… mais pourquoi ? Dans quel intérêt ? Mon bon monsieur de Mondreville, je vous le demande au nom du ciel : avait-on besoin de moi pour rendre un arrêt qui est peut-être ici tout rédigé sur le coin de votre bureau ?

— En effet, j’ai tracé une légère esquisse, et je ne crains pas de vous dire entre nous que vos conclusions seront adjugées. La cause, en droit, n’a jamais été qu’à moitié bonne ; il n’était pas en votre pouvoir de la rendre excellente. Je ne sais ce qu’on pensera de nous en cassation, mais n’importe : vous avez enlevé la cour et le public, et la cause, bonne ou mauvaise, est gagnée. Vous avez procédé par voie sentimentale ; la pitié, l’indignation, le mépris ont plus de part à la victoire que le raisonnement ; bref, s’il faut vous dire toute ma pensée, c’est un succès d’assises que vous remportez là. Or le parquet, vous le savez, se pique de réagir contre ces entraînements de la faiblesse humaine. Nos avocats généraux, nos substituts eux-mêmes, sont d’avis que la cour s’est laissé attendrir comme un simple jury. S’ils n’étaient retenus par de hautes convenances, j’en connais au moins deux qui discuteraient sévèrement votre plaidoirie ; mais le moyen, je vous le demande, maintenant que vous planez sur eux ? Devant la résistance des uns et l’abstention systématique des autres, je me suis arrêté à un parti qui ne compromettra personne. Après tout, il n’est pas indispensable que le parquet ait des lumières à lui dans chaque affaire civile ; sept fois sur dix, ces messieurs s’en remettent à la sagesse de la cour ou du tribunal.. Vous pourriez donc, si je ne me trompe, occuper le siége du ministère public ; vous diriez qu’un avis du garde des sceaux, antérieur à votre nomination, invite le procureur général à conclure en personne dans cette affaire ; mais que, pour des raisons faciles à comprendre, vous vous en rapportez au sentiment de la cour. Qu’en pensez-vous ?

— Je pense, répondit Mainfroi, que la cause me semblait absolument