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lui, ils eurent également d’assez fâcheuses aventures. L’inventaire en fut fait par M. Chanut, ambassadeur de France et ami de Descartes, et le tout fut envoyé par lui à son beau-frère, M. Clerselier, autre ami et disciple du philosophe, qui habitait Paris. Ils furent chargés sur un bateau qui accomplit heureusement la longue traversée de Stockholm à Paris; mais à Paris même, près du Louvre, le bateau sombra, et les papiers allèrent au fond de la Seine, où ils restèrent trois jours. Après qu’ils eurent été repêchés, ils furent confiés à des domestiques peu intelligens qui les firent sécher pêle-mêle sur des cordes, et les remirent à Clerselier dans le plus grand désordre. C’est avec ces matériaux informes que Clerselier publia sa première édition des Lettres de Descartes et quelques autres ouvrages; mais cette édition est bien loin de contenir tous les écrits de Descartes mentionnés dans l’inventaire de Stockholm. Parmi ces divers écrits, qui ont encore été entre les mains de Baillet, se trouvait un Cahier-Journal (de 1619 à 1621) et quelques fragmens de physique et de mathématiques, qui furent vus par Leibniz à son passage à Paris. Sa curiosité extrême pour toutes les raretés philosophiques lui en fit prendre une copie : c’est cette copie que M. Foucher de Careil a retrouvée à Hanovre et qu’il a publiée sous le titre de Fragmens inédits.

Enfin, dans le dénombrement des sources diverses que l’auteur a pu et dû consulter, on ne peut oublier la savante et complète Histoire de la philosophie cartésienne, dont l’auteur, M. Francisque Bouillier, vient précisément de nous donner la troisième édition, encore perfectionnée. Le livre de M. Bouillier est un de ceux qui font le plus d’honneur à l’érudition française en philosophie. C’est un de nos livres que l’Allemagne connaît et estime le plus. Si le livre de Bordas-Dumoulin sur le même sujet conserve son originalité soit par la force philosophique, soit par l’étendue des connaissances scientifiques, celui de M. Bouillier est supérieur par l’étendue des recherches, et aussi par la savante et heureuse ordonnance de la composition. Le livre de Bordas-Dumoulin est plein d’éclairs; mais il est incomplet et mal ordonné. La science pure y déborde sur la métaphysique. Dans le livre de M. Francisque Bouillier, toutes les proportions sont observées : les grandes doctrines sont exposées d’une manière complète et lumineuse; mais c’est surtout le détail des faits que l’auteur a étudié avec une exactitude et une précision supérieures. Il a suivi toutes les vicissitudes du cartésianisme dans tous les pays de l’Europe, et jusqu’à ses dernières ramifications dans le XVIIIe siècle. L’histoire littéraire a autant à profiter que l’histoire philosophique dans cet important ouvrage.