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analytique, — telles étaient les deux œuvres capitales que ce débutant apportait au monde savant. Ces livres, bien loin d’être le commencement, n’étaient au contraire que la conclusion et le couronnement d’immenses travaux que jusqu’alors Descartes n’avait faits que pour lui-même, et dont il donnait maintenant la meilleure partie au public. On voit encore, par le Discours de la Méthode, que Descartes, sans avoir encore rien publié, était déjà célèbre. Ses conversations, ses conférences, ses correspondances, avaient donné de lui la plus haute idée à tous les savans qui le connaissaient; de proche en proche son nom s’était répandu, et une grande attente s’attachait à lui. On le pressait de tous côtés de faire connaître ses découvertes, de publier ses écrits, et, ce qui est rare, l’attente, bien loin d’être déçue, était dépassée; la gloire la plus éclatante, le succès le plus rapide, récompensaient ses laborieux efforts.

C’était donc un travail aussi intéressant que neuf de nous faire connaître Descartes avant sa gloire et son triomphe, avant ses premiers écrits, de l’étudier dans l’enfantement progressif de ses pensées, d’expliquer et de commenter par les circonstances précises de sa vie l’histoire psychologique que Descartes raconte de lui-même dans son premier chapitre du Discours de la Méthode ; c’est ce travail qui vient d’être fait par un jeune professeur de l’université sous ce titre : Descartes, sa vie, ses travaux, ses découvertes avant 1637. L’auteur, M. Millet, s’est appliqué à ce travail avec une conscience et une ardeur des plus louables. Il est difficile d’aimer son œuvre plus qu’il ne le fait, ce qui est une condition de bien faire; non-seulement il a consulté les documens imprimés, mais il a écrit partout où l’on avait pu conserver quelques vestiges de Descartes, en Hollande, en Suède, en Angleterre; il a recueilli quelques faits nouveaux, et a profité surtout avec habileté et discernement des trois sources les plus importantes qu’il eût à sa disposition : la Correspondance de Descartes, la Vie de Descartes, par Baillet, les Fragmens inédits découverts et publiés par M. Foucher de Careil.

Sans contester toutefois ce que l’auteur a pu ajouter par ses connaissances philosophiques et scientifiques à la Vie de Descartes de Baillet, j’avouerai que je le trouve bien sévère à l’égard de ce livre, et qu’il ne me paraît pas reconnaître suffisamment tout ce qu’il lui doit. Il l’accuse d’être emphatique, lourd, de manquer de critique, de discernement philosophique. Je le veux bien; mais ce n’est pas une raison pour nier le mérite de cet excellent ouvrage. Sans doute Baillet est un écrivain naïf et peu exercé, il a la phrase longue, le récit diffus et beaucoup d’autres défauts; mais il